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Choux romanesco, Vache qui rit et intégrales curvilignes
29 mars 2009

Non mais Didon

plan_villeA l'époque grecque, on chargeait aux géomètres les affaires de partages de terrains : tout le monde sur un même pied d'égalité, il fallait que tous les lopins de terre soient de même taille. Chacune des parcelles avaient donc le même périmètre, et tout semblait aller pour le mieux. On peut imaginer un partage comme sur l'illustration de gauche, où tous les terrains ont le même périmètre.
La supercherie fut découverte au moment des moissons, où, bizarrement, les géomètres avaient la meilleure récolte ! Même si deux terrains ont le même périmètre, ils n'ont pas forcément la même aire, idée peu répandue à l'époque.

Pour mesurer un terrain, la meilleure mesure est celle de l'aire, et non celle du périmètre, contrairement à l'idée reçue dans la Grèce antique (Par exemple, quand Homère dit que la taille de Troie est de 10 200 pas, il parle de son périmètre)

Problème de l'isopérimétrie
Ces quelques géomètres connaissait déjà le résultat du problème d'isopérimétrie, peu connu du reste de la population, à savoir, pour un périmètre donné, quel est le terrain possédant la plus grande aire ?
Le résultat ne concernait alors que les polygones à n côtés, à savoir :

Si un polygone à n côté est d'aire maximale, alors ce polygone est régulier (côtés et angles tous égaux)

La démonstration s'appuie sur deux remarques :
* Un polygone possédant deux arrêtes de taille différente n'est pas solution du problème isopérimétrique
polyg_cas1On peut prendre un polygone ABCDE quelconque, possédant deux côtés de taille différentes (ici, AB et AE). On peut alors "redresser" le triangle ABE en un triangle isocèle A'BE de même périmètre. L'aire du polygone A'BCDE est plus grande que l'aire de ABCDE (Il suffit de comparer l'aire en vert de l'aire en orange) pour un périmètre égal, c'est donc que ABCDE n'est pas solution du problème isopérimétrique.

 

* Un polygone possédant deux angles différents n'est pas solution du problème isopérimétrique
(Mais la démonstration est, à mon humble avis, moins intéressante)

Il n'y a que un seul type de polygone qui satisfait ces deux propriétés : les polygones réguliers !

Le problème isopérimétrique de Didon

Dido

Selon la légende, au IXe siècle avant Jésus-Christ, la princesse Elissa (surnommée Didon, "la vagabonde") devient reine de Tyr (du côté de l'actuel Liban-Israël-Syrie). Mais suite à l'assassinat de  son époux Sychée par son frère Pygmalion, celle-ci s'enfuit, jusqu'en Afrique du Nord, et atteint la citadelle de Byrsa (proche de l'actuel Tunis). Elle demande asile aux autochtones, qui lui accordent une terre. Plus exactement, ils lui accordent la terre que pourrait couvrir une peau de bœuf. Rusée, elle accepte le marché, et découpe la peau en une fine lanière, et parvient à découper une corde longue de 4 km.
C'est sur le bord de la mer qu'elle dépose sa corde, en formant un arc de cercle. Le territoire ainsi délimité fut accordé à Didon, et fut appelé "la ville neuve", à savoir, "Carthages" !

En choisissant le cercle plutôt que le triangle ou le carré, Didon a résolu intuitivement le problème isopérimétrique pour une surface quelconque, qui ne se posait même pas encore à l'époque.

(Didon termina sa vie sur le bûcher, après avoir refusé de se marier avec le roi Iarbas)

Le procédé de symétrisation de Steiner

Le problème répondu par Didon est le suivant :

Une surface de périmètre p et d'aire maximale pour ce périmètre est un disque

La démonstration est l'œuvre de Jakob Steiner (mathématicien suisse de la première moitié du XIXe siècle) qui utilise le procédé de symétrisation plutôt ingénieux :

Supposons une surface S de périmètre p et d'aire maximale a. (Ce qui signifie qu'il n'existe pas de surface de même périmètre et d'aire plus grande, ni de surface de même aire et de périmètre plus petit)
* Cette surface S possède un axe Δ :
Prenons un point P sur le bord de S, et un deuxième point M mobile sur le bord de S. La demi-droite PM partage la surface en deux parties S1 (d'aire a1, de périmètre p1) et S2 (d'aire a2, de périmètre p2). En faisant bouger M le long du bord de S, l'aire a1 passera de 0 à a, en passant par a/2. Le point M tel que a1=a2 forme l'axe Δ.

Steiner1

De part et d'autre de cet axe Δ, la surface S1 et la surface S2 ont forcément le même périmètre ; si tel n'était pas le cas (par exemple, p1<p2) alors la surface S' obtenue par symétrie de S1 par rapport à Δ sera de même aire que S, mais de périmètre plus petit : impossible, par maximalité de S.
Si S est maximale, c'est que S possède dès le début un axe Δ, coupant la surface en deux parties de même  aire et de même périmètre.

* Notre surface S est forcément un disque
Steiner2Pour démontrer ça, il faut utiliser la propriété du disque : les points d'un cercle forment un triangle rectangle avec le rayon (et vice-versa).

Considérons à nouveau notre surface S, découpé en deux par Δ, segment [PM] de centre O. On va appliquer la procédure de symétrisation de Steiner, à savoir, prendre une moitié de S et effectuer une symétrie centrale en O.

La surface S' ainsi fabriquée garde le même périmètre et la même aire que S.

En prenant un point A sur le bord du S', et son symétrique A', on forme alors un parallélogramme MAPA', ainsi que 4 lunules L1, L2, L1', L2'.

Notre parallélogramme MAPA' est forcément un rectangle ! En effet, à longueur de côtés fixées le parallélogramme possédant la plus grande aire est le rectangle. Si MAPA' n'est pas un rectangle, on peut le transformer en rectangle, d'aire plus grande, sans changer la longueur des côtés. En déplaçant les lunules avec les côtés, on fabriquera une nouvelle surface, d'air plus grande mais de même périmètre : impossible, par maximalité de S !

Donc, peu importe le point A choisit sur le bord de S, le parallélogramme MAPA' est un rectangle ! S est donc un disque !

La construction de Steiner, relativement élémentaire, montre qu'une surface répondant à un problème d'isopérimétrie est forcément un cercle (unicité). Le problème de l'existence (Si ça se trouve, une surface minimisant le périmètre, ça existe pas !) est beaucoup plus ardu à résoudre, et fait appel à bien plus que de simples notions géométriques. Entre la naissance du problème et sa résolution, 3000 ans sont passés ! Pas mal, pour un problème ayant l'air si simple !


Sources :
Wikipédia - Isopérimétrie (Plus que bien fourni !)
Résolution classique du problème de Didon (avec Euler-Lagrange)

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Commentaires
E
Xochipilli > Je viens d'ajouter le lien vers l'article de Serge Mehl (même si, finalement, c'est seulement une démonstration d'unicité !)<br /> <br /> N. Holzschuch > On mesure effectivement la moisson, mais seulement au moment de la mousson !<br /> (Bon j'admets, il y a une faute de frappe !)
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N
Mousson ou moisson ? <br /> On mesure la récolte, ou la quantité d'eau tombée sur le champ ?<br /> (les deux marchent, bien sûr)
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X
Je ne connaissais pas cette élégante démonstration, merci! (C'est quand même plus intelligible que la méthode classique avec lagrangien et tutti quanti (voir l'article de Serge Mehl par exemple ).
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