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Choux romanesco, Vache qui rit et intégrales curvilignes
6 mars 2011

Analyse fractionnaire et opérateurs pseudo-différentiels

Rien ne va plus ! Ces derniers temps, j'ai parlé sur ce blog de programmes informatiques qui risquent de dominer le monde, de résolution de labyrinthe façon livre dont vous êtes le héros et même de spirographisme ! Mais ce blog possède un certain standing, et si je veux rester catégorisé dans les blogs mathématiques catégorie "public averti" entre deux médaillés Fields, je me dois d'écrire des articles un peu moins grand public, avec plein de formules...

Aujourd'hui, je vais donc parler d'analyse fractionnaire ! Youhou ! (Et, contrairement à ce qu'annonce le titre de l'article, il ne sera pas vraiment question d'opérateurs pseudo-différentiels, désolé pour la fausse joie)

Et si on généralisait la dérivation ?
Étant donné une fonction f pas trop quelconque, on peut la dériver une fois : on obtient une nouvelle fonction f'. Si on dérive cette fonction une fois de plus, on se retrouve avec la fonction f''. En dérivant n fois, on trouve sa dérivée n-ième, qui est f(n). De la même façon, on peut intégrer une fois, deux fois ou plusieurs fois une fonction.

Mais pourquoi toujours dériver ou intégrer un nombre entier de fois ? Après tout, on sait additionner x fois un même nombre, même quand x pas entier (et ça s'appelle un produit). On sait multiplier un même nombre 4.2 fois par lui-même, grâce aux exponentielles. Alors pourquoi pas calculer la pi-ième dérivée de sa fonction préférée ? L'analyse fractionnaire, c'est ça : donner un sens à la √2-ième ou à la -2-ième dérivée d'une fonction (pas seulement aux dérivées fractionnaires).

L'histoire débute le 30 septembre 1695. Dans une lettre adressée à Gottfried Wilhelm Leibniz (le co-inventeur du calcul différentiel 10 ans plus tôt), le Marquis de l'Hôpital lui pose la colle suivante : "c'est quoi, la demi-dérivée de la fonction f(x)=x ?". Le calcul différentiel étant encore à ses balbutiements, Leibniz réponds qu'il s'agit là d'un paradoxe, mais qu'un jour, il en découlera de très utiles conséquences. Il n'avait pas tort

Première approche (*)
L'approche la plus simple, c'est de prendre les formules de dérivation que l'on connaît, et de voir ce que ça donne quand on généralise aux réels. L'exemple le plus simple, c'est celui de la fonction exponentielle :

derivee_entiere_expontentielle

Quand on remplace n entier par ν réel, la puissance de a n'est plus entière, mais on s'en sort avec sa généralisation : aν = eν.ln(a)

derivee_frac_expontentielle
Formule (*)

Ainsi, la demi dérivée de la fonction exponentielle est toujours la fonction exponentielle. Vu comme ça, les choses ne sont pas trop compliquées. Surtout que grâce à cette formule, on peut calculer facilement la dérivée ν-ième des fonctions trigonométriques, en utilisant les formules d'Euler et le fait que (±i)ν = e±iπν/2 :

derivee_cosinus
Dériver un cosinus, c'est juste changer sa phase...

Une super technique pour calculer la dérivée ν-ième d'une fonction est donc de passer par sa transformée de Fourier et d'utiliser les formules de dérivation et d'inversion de Fourier. Ainsi, on a :

derivee_transformee_Fourier
J'avais promis des formules, je ne vous ai pas menti

Deuxième approche (**)
Mais pour dériver f(x)=x, ce n'est pas possible de passer par les exponentielles (la fonction n'étant pas intégrable, c'est pas possible de passer par les transformées de Fourier). Procédons plutôt à l'intuit : il suffit de généraliser la formule de la dérivée n-ième de xk :

derivee_entiere_polyn_me
(Remarquons au passage que si n est négatif, la formule donne une primitive)

Pour généraliser la factorielle, la fonction Γ fait parfaitement l'affaire (une fonction étrangement définie à partir d'une intégrale...). C'est une fonction qui vérifie, pour n entier, Γ(n+1)=n!. On peut aussi calculer quelques valeurs particulières, notamment Γ(1/2)=√π et Γ(3/2)=√π/2. Ainsi, la dérivée ν-ième du monôme xk est :

derivee_frac_polyn_me
Formule (**)

On peut aussi remplacer k! par Γ(k+1) pour généraliser aux fonctions de la forme xk, avec k réel. Cette approche court-circuite en fait une approche plus générale qui part de la définition la plus basique de la dérivée (comme limite du taux de variation).

On peut donc répondre à la question que se posait L'Hôpital : la demi dérivée de f(x)=x est :

derivee_frac_lineaire
Encore un pi qui surgit de nulle part...

On peut vérifier qu'en prenant à nouveau la demi-dérivée de ce truc, on tombe sur 1.

Mais au fait, les formules (*) et (**) sont-elles compatibles ? Calculons donc la demi-dérivée de la fonction exponentielle à partir de la formule (**), qui devrait redonner l'exponentielle :

derivee_frac_expontentielle_2

En fait, non... La fonction que l'on obtient n'a rien à voir avec la fonction exponentielle ! Il y a un problème quelque part...

Mais où est le problème, alors ?
Quelle approche abandonner, alors ? Celle qui donne une élégante formule de la dérivée du cosinus, et qui est pratique pour mélanger transformées de Fourier et analyse fractionnaire, ou celle qui donne une formule intuitive en se basant sur la définition même de la dérivation ... C'est sans doute là que Leibniz a vu son paradoxe. L'intérêt de la dérivation classique, c'est que le nombre dérivé en un point de la fonction ne dépend que de son voisinage. Dans les dérivations fractionnaire, c'est moins sûr...

En fait, les deux approches se rejoignent, tout est une affaire de choix ; le même choix que l'on fait quand on dit que la primitive de f(x) = x est F(x) = x2/2 et que celle de f(x) = ex est F(x) = ex. Tout est dans le "à une constante près". En fait, pour calculer une primitive, on calcule les intégrales suivantes :

primitives

Pour avoir les résultats les plus jolis possibles, on prend x0 = 0 dans le cas polynomial, et on prend x0 = -∞ dans le cas exponentiel. Ce sont précisément ces choix là que l'on fait lors lors des approches (*) et (**) (mais il faudrait rentrer dans les détails techniques pour voir où exactement).

Ce choix apparait cependant dans une troisième approche, par la "formule de Cauchy pour l'intégration successive". Cette formule nous dit que pour calculer une n-ième primitive (notée dérivée -n-ième) d'une fonction donnée, on a la formule suivante :

formule_Cauchy_succ

(La primitive donnée par cette formule est celle dont les premières dérivées valent 0 en x0)

Sans se casser, on peut généraliser la formule pour définir une dérivée (ou plutôt, une primitive) ν-ième :

formule_deriveefrac_3

Et voilà ! Avec x0 = -∞, on retrouve la première approche, et avec x0 = 0, la deuxième approche. On peut maintenant recalculer la demi-dérivée de l'exponentielle en suivant l'approche (**) :


avec erf la fonction d'erreur de Gauss

Au final, il n'y a pas de "bonne" définition de la dérivée fractionnaire, mais plusieurs qui se valent.

Et les applications dans tout ça ? Eh bien, comme la nature est fractale (et qu'interviennent des dimensions non entières), les modélisations physiques font intervenir ces dérivées non-entières. Bref : ces opérateurs "pseudo-différentiels" interviennent dans des domaines divers comme l'acoustique, l'électromagnétisme ou la thermique...


Sources :
Un peu plus de détails techniques : Fractional Calculus
Un peu plus sur la formule de Cauchy : Fractional Calculus II
Un peu plus sur l'analyse fractionnaire : Fractional Calculus: History, Definitions and Applications for the Engineer [pdf]

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Commentaires
E
Gaurbhack > Il y a bien une analyse irrationnaire, mais on garde quand même le nom "analyse fractionnaire" (qui, il faut l'avouer, sonne mieux à l'oreille).
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G
"Analyse fractionnaire"<br /> Il y aussi une analyse "irrationnaire"?<br /> On ne peut pas dériver Pi fois?
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H
Merci beaucoup -- y compris pour les éléments de biblio...
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J
guil > La dyslexie dans les dates, ça pardonne pas... Il fallait évidemment lire 1695 !
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G
Bonjour !<br /> Rhoo.... Leibniz et le Marquis de l'Hopital, en 1965 ?? Vraiment ??? <br /> <br /> Mais quand même bravo pour ce blog que je suis très régulièrement depuis quelques temps déjà...
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