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Choux romanesco, Vache qui rit et intégrales curvilignes
29 juin 2008

Le singe qui connaissait Shakespeare

Prenons un singe, et plaçons dans sa cage une machine à écrire. Alors, si le singe tape aléatoirement sur les touches de la machine à écrire, tôt ou tard, il écrira Hamlet, de William Shakespeare.

Mais ce n'est pas tout ! Il est probable qu'avant d'écrire Hamlet, il aura d'abord traduit Le Cid de Corneille en wolof, recopié l'intégrale des œuvres de la Fontaine (dont les inédits qu'il n'a jamais osé publier) et réécrit la biographie de Paris Hilton sous forme de lipogramme en E de plusieurs façon différentes !

Pour ça, par contre, il va falloir beaucoup de temps, mais il le fera presque surement. Il faut cependant que le singe tape sur sa machine toute sa vie, et que sa vie soit infinie, mais passons sur ces détails.

Le paradoxe du singe savant
"Hamlet", c'est 6 lettres. Avec les lettres, les chiffres et les différents signes typographiques, on peut supposer que la machine à écrire du singe possède 50 touches. Le singe tape de manière totalement aléatoire, toute les touches ont la même probabilité d'être appuyée. On peut aussi considérer qu'il appuie sur une touche par seconde.
La probabilité pour que le singe ne tape pas "H" à un moment donné, c'est donc de 49 chances sur 50.
La probabilité pour que le singe ne tape pas "H" au cours de deux secondes successives, c'est 49/50×49/50, soit 96,04%
En une minute, le singe va appuyer sur 60 touches. La probabilité pour qu'il n'appuie pas sur la touche H au cours de cette minute, c'est (49/50)60, c'est à dire 29,76%.
En 5 minutes, le singe va appuyer 300 fois sur la machine, il y a alors 0,23 % de chance qu'il n'appuie pas sur la touche H.
Plus le temps devient grand, plus la probabilité que le singe n'imprime pas "H" s'approche de 0. On dit alors que le singe va écrire "H" presque surement.

Ca, c'est pour écrire "H", mais pour écrire "Hamlet" ? Pendant une période de 6 secondes, pour que le singe écrive Hamlet, il lui faut écrire successivement "H" (1 chance sur 50), "a" (1 chance sur 50), "m" (1 chance sur 50), "l" (1 chance sur 50), "e" (1 chance sur 50) et "t" (1 chance sur 50). La probabilité pour que tout soit soit écrit dans l'ordre est alors de 1 chance sur 15625000000.
La probabilité est maigre, certes, mais si on lui laisse suffisamment de temps, le singe devrait écrire "Hamlet" au bout d'un moment. Au cours d'une période de 500 ans, la probabilité pour que le singe écrive au moins une fois Hamlet est tout de même de 63,57 % ! Si on attend 1000 ans, elle devient 86,73 %.
Le singe va écrire "Hamlet" presque surement, si on attend suffisamment longtemps !

Cela marche pour une suite de 6 caractères, donc ça marche pour des suites de caractères aussi longue que l'on souhaite, donc ça marche avec Hamlet, de Shakespeare ! (Mais le temps à attendre pour que la probabilité soit supérieure à 1% est totalement inimaginable !)

Dans la pratique, utiliser un singe savant pour écrire des œuvres littéraires n'est pas très pratique pour au moins deux raisons :
* La première raison, c'est que pour avoir quelque chose de lisible, il faudra attendre environ beaucoup de temps ! On peut améliorer la rentabilité en prenant 50 000 singes au lieu d'un seul, mais le temps de lecture des écrits des singes est bien trop longue pour être envisageable
* La deuxième raison, c'est que les singes savants n'existent pas. Non seulement, ils n'ont pas une espérance de vie infinie, mais en plus, il est très difficile de leur faire appuyer sur des touches au hasard toute leur vie. D'ailleurs, l'expérience a été faite en 2003 : un clavier ordinateur a été laissé dans la cage de 6 macaques. Après un mois, seulement 5 pages avaient été écrite, et essentiellement composées de mêmes caractères répétés un grand nombre de fois (Vous pouvez lire le résultat ici)

Les nombres univers

Puisque les singes savant n'existent pas, (et même s'ils existaient, il faudrait attendre longtemps) il faut trouver une autre façon d'écrire des grandes œuvres sans se fatiguer !
Au lieu de produire une suite de caractères aléatoires, la bonne idée serait d'en avoir une infinie qui existe déjà ! Il y a juste à la lire pour avoir ce que l'on cherche !

En fait, à part en fabricant une telle suite de manière aléatoire (peut importe la méthode, avec ou sans macaques à crête de Sulawesi), on ne dispose pas de suites vraiment "aléatoire".

Mais ce qui nous intéresse en fait, c'est une suite qui contient tout ce que l'on aimerait y trouver.
Par exemple, la constante de Champernowne est 0,12345678910111213141516..., c'est à dire, le nombre dont le développement décimal est la suite des nombres entiers collés les uns aux autres. Ma date de naissance est inscrite dans les décimales de ce nombre ! (Si je me trompe pas, on peut la lire à partir de la 816 986 773e décimale). On peut aussi lire mon numéro de téléphone, mon numéro de sécurité sociale et une version numérisé du film de ma vie, avec le director's cut (Mais elle est beaucoup plus loin dans la suite des décimales).

Un tel nombre, où l'on peut trouver n'importe quelle suite finie de chiffres, est appelé un nombre univers. On parle de nombre univers par rapport à une base donnée (ici, la base 10) ; le nombre de Champernowne en est l'exemple le plus simple. Mais il y en a d'autre, comme la constante de Copeland-Erdös, qui vaut 0,235711131719... (la suite des nombres premiers concaténés).

Des nombres commeracinede2 (1,4142...), π (3,14158...) ou e (2,71828...) sont peut-être des nombres univers, mais ces résultats n'ont pas encore été démontrés. En tout cas, ma date de naissance apparait bien dans le développement décimal de la constante π (à partir de la 117900450e décimale - Cherchez également la votre) !

Ainsi, la réponse à La Grande Question sur la Vie, l'Univers et le Reste est inscrite dans les décimales de π... A la 92e décimale !

Là, on reste en base 10, mais on peut convertir tous ces nombres dans une autre base, comme par exemple, la base 26, où les chiffres sont les lettres de l'alphabet : A=0, B=1, ..., Z=25.
En base 26, le nombre D,DR vaut 3 + 3×1/26 + 17×1/26², soit 3.14... (une approximation basique de π en base 10)
Comme en base 10, π possède en base 26 un développement infini, qui commence par :
D.DRSQLOLYRTRODNLHNQTGKUDQGTUIRXNEQBCKBSZIVQQVG...

Si π est bien comme on le conjecture un nombre univers en base 26, on a plus besoin de nos singes pour réécrire du Shakespeare... Tout est dans π !
La question "où" reste cependant irrésolue... Mais la réponse à la question "où" est bien dans les décimales de π ! (Enfin, on le conjecture)

Le premier mot (anglais) de 6 lettres que l'on peut ainsi lire dans π en base 26 est "OXYGEN"... Peut-être un signe ?...



Sources :
Wikipédia parle beaucoup du paradoxe du singe savant
Tout un tas de choses à propos de pi en base 26


Vous pouvez retrouver une version inédite de cet article, avec beaucoup plus d'information, quelque part dans pi.

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Commentaires
E
Retrouver ma date de naissance à partir de l'info que j'ai glissé dans l'article... J'admire !
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T
Bon anniversaire et bonne continuation à ELJJDX, chez qui la valeur n'attend pas le nombre des années...<br /> ;-)
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B
J'adore !
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Y
Très intéressant ! ... Et le premier mot "anglais" de 8 lettres est Armagnac, ce qui pour le coup sans aucun doute est un signe ;-) !
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C
Encore un article d'une grande qualité, intéressant et curieux.<br /> Comme toutes les mathématiques, en somme.<br /> <br /> Encore merci de faire partager ces grandes connaissances.
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