Suite et fin
Previously, on Broccoflower, laughing cow and curve integral :
"La droite réelle ne peut être pavée que par des segments semi-ouverts, mais ce n'est pas le cas pour le plan, où presque tous les types de segments peuvent le paver
Pavage fin du plan par des segments fermés unitaires
Le pavage fin par des cercles est impossible... Tout comme le
pavage par tout ce qui possède des boucles, comme des ellipses, des
R ou des Q !
Peut-on paver le plan avec des Y ? Peut-on paver l'espace avec des
sphères ? Avec des cercles ? Peut-on paver finement la sphère ?..."
Pavage fin par des Y
Peut-on paver le plan par des Y (ou quelque chose qui ressemble de près ou de loin à un Y, ie, des objets constituées de 3 courbes se rencontrant en un point) ?
1ère partie du raisonnement
Puisqu'on parle de courbe, on parle d'objet ayant une aire nulle. Puisqu'on tente de recouvrir le plan (qui n'est pas d'aire nulle), il va en falloir au moins une infinité, pour fabriquer de l'aire. Cette infinité se doit cependant d'être indénombrable, car le cas dénombrable ne crée pas d'aire non plus.
Pour s'en convaincre, on peut en revenir à la droite réelle. Un point, c'est de longueur nulle, et plusieurs points, c'est toujours de longueur nulle. En prenant un ensemble dénombrable (comme ℕ) de points, la longueur totale de ces points sera 0+0+..., donc toujours nulle.
Le sous-ensemble ℚ (des nombres rationnels) est également dénombrable : on peut en choisir un premier, un deuxième, un troisième, etc, de manière à tous les avoir. La longueur totale de ces points, c'est :
la longueur du premier point + la longueur du 2eme + la longueur du 3eme + ... . Cela donne donc 0+0+0+... = 0 ! La longueur du sous-ensemble ℚ est donc nulle !
Moralité : si on peut paver le plan avec des Y, il faudra nécessairement en avoir un nombre indénombrable !
2ème partie du raisonnement
En fait, on va montrer qu'un pavage par des Y est impossible, grâce au mariage de la topologie, de l'infini cantorien et de la théorie des graphes !
Déjà, supposons qu'un tel pavage existe (on va l'appeler P). On se fiche de savoir la forme des branches du Y, et si les extrémités sont fermées ou ouvertes, la seule chose importante, c'est que la branche est de longueur non nulle, et qu'il y en a 3.
A chaque Y, on va associer 3 cercles, un cercle (et un seul) par branche. Ces cercles ont un centre à coordonnées rationnelles, et un rayon rationnel, et chaque branche coupe un seul de ces trois cercles.
Exemple d'association entre un Y et un triplet de cercles
(Les Y ne sont pas forcément un assemblage de 3 segments !)
Et c'est à ce moment là que la théorie des graphes arrive, avec le célèbre problème du raccordement de 3 maisons en électricité, en eau et en gaz. Étant 3 maisons, comment faire pour raccorder chacun des maisons à la centrale électrique, à la centrale de gaz et à cette d'eau sans que les raccordements ne se croisent ?
Comment raccordement chacun des maisons à chacune des centrales sans croiser les lignes ?
(Ici, la maison verte ne peut se raccorder en gaz)
En fait, cela ne sert à rien de chercher : il n'existe pas de raccordement ne se croisant pas. Un tel graphe est dit "non planaire".
En se replaçant dans le contexte de notre problème des Y, on peut voir que 3 Y différents ne peuvent pas avoir les même cercles (En prenant pour centrales les centres des cercles, et pour maisons les centres des Y).
Bref : à tout Y on peut faire correspondre un triplet de cercle rationnels de telle manière que chaque triplet ne peut correspondre qu'à deux Y au maximum.
Conclusion
Ce que l'on a appelé cercle, c'est un triplet (x,y,r) de rationnels ((x,y) ses coordonnées, et r son rayon). Puisque l'ensemble ℚ des rationnels est dénombrable, l'ensemble des triplets de rationnel est également dénombrable. De même, l'ensemble des triplets de cercles est également dénombrable.
On peut donc considérer l'ensemble dénombrable T des triplets de cercles rationnels. Puisqu'il est dénombrable, on peut le dénombrer : T={T1, T2, T3, ...} (Chaque T est un triplet de cercles)
On peut diviser cet ensemble T en 3 parties :
- l'ensemble T° des triplets qui ne correspondent à aucun Y de notre pavage P
- l'ensemble T¹ des triplets qui correspondent à un seul Y de notre pavage P
- l'ensemble T² des triplets qui correspondent à deux Y de notre pavage P
Avec T¹ et T², on a tous les Y de notre pavage P... Mais comme T est dénombrable, T¹ et T² sont également dénombrable, et donc P est également dénombrable.
On a vu dans la première partie qu'un pavage se doit d'être indénombrable, il y a donc un hic : finalement, un pavage par des Y ne peut pas exister !
Évidement, on ne peut pas non plus paver par des E, des F, des H, des T ou des X...
Reste les autres lettres à étudier, comme les C ou les V, et ceux si sont possibles, à condition de supposer que ce sont des segments semi-ouverts :
Pavage fin du plan par des demi-cercles semi-ouverts
Pavage fin de l'espace
On a bien pavé le plan, il faut maintenant voir plus grand, avec le pavage de l'espace ! On peut dors et déjà voir les cas les plus simples :
- Pavage par des points : évident
- Pavage par des droites ou segments : évident
- Pavage par des sphères : impossible (le même raisonnement que pour les cercles dans le plan)
Bien que le pavage du plan par des cercles est impossible, celui de l'espace par des cercles est possible, quoique pas du tout évident ! L'exemple suivant est celui dû à N. Pippenger.
1ère étape : le pavage de la sphère trouée par des cercles
Le pavage de la sphère par des cercles est impossible (toujours le même raisonnement que dans le plan), mais dès lors que l'on prive la sphère de deux de ses points, celà devient possible, en lui enfilant un collier de cercles.
Dans le cas où l'on prive la sphère du pôle nord et du pôle sud, le collier de la sphère correspondra aux parallèles (à l'équateur).
Dans le cas où les points ne sont pas diamétralement opposés, c'est également faisable ! (Pour trouver ce collier, on considère les deux plans tangents à la sphère aux deux points. Ces plans se croisent le long d'une droite. On fait ensuite pivoter l'un des plan par rapport à cette droite : les cercles correspondront à l'intersection entre la sphère et les plans)
Exemple de collier de cercle
(Jos Leys, PLS n°361)
2ème étape : le pavage de l'espace par des sphères bi-trouées
Puisqu'on sait paver les sphères bi-trouées par des cercles, il suffit de s'arranger pour que les trous tombent le long de cercles, et ça sera gagné !
On va donc commencer par placer ces cercles. En partant du plan Oxy, on va placer un premier cercle de rayon 1 et de centre (0,1). Ce cercle passe par l'origine. On place ensuite des cercles unités de centres (0,5), (0,9), etc (tous séparés de 4 unités, en vert). Ainsi, si on trace un cercle dans ce plan de centre (0,0), il sera toujours coupé exactement deux fois.
Plan de construction du pavage
Les cercles concentriques (ici, en orange) représentent en fait les sphères. Celles-ci sont bi-trouées, et donc, pavable par des cercles !
En tout point de l'espace passe un seul et unique cercle : c'est un pavage parfait de l'espace par des cercles !
Pavage fin de la sphère
Un dernier pour la route : comment peut-on paver finement la sphère ? On peut le faire avec des arcs de cercle unité semi-ouverts, et ce pavage nous vient de Croft et Conway :
Pavage fin de la sphère par des arcs semi-ouverts de même longueur
(Los Leys, PLS n°361)
L'idée est de recouvrir d'abord les demi-sphères privées de l'équateur et du pôle nord par des arcs disposés en zig-zag, de plus en plus penchés en arrivant près de l'équateur (les arcs jaunes/orange). Ces arcs sont ouverts du côté du côté du pôle nord. Une fois la demi-sphère (privée de son pôle) ainsi coiffée, on choisit l'un des zig-zag, et l'on retourne chaque arc, de manière à ce que le côté fermé soit du côté du pôle nord. (en violet/marron) C'est à présent la demi-sphère (avec son pôle) qui est coiffée. En faisant de même avec l'autre demi-sphère, il ne reste plus que l'équateur à paver, ce qui se fait facilement (en vert) !
Pour réaliser ce pavage, il faut cependant que chaque arc sont d'une longueur qui divise celle de l'équateur... Les mathématicien ont pu démontrer que le pavage par des arcs ouverts est impossible, mais le problème des arcs fermés demeure toujours !
Sources :
Les pavages fins - Pour la science, n°361 novembre 2007