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Choux romanesco, Vache qui rit et intégrales curvilignes
27 décembre 2009

« Pour vous, qu'est ce qu'un nombre ? »

Résumé des épisodes précédents :
Moi je suis Dedekindien ! J'aime beaucoup l'idée d'avoir beaucoup de trous de ℚ !
Pollux, 11 octobre 2009 à 18:25
Et les infinis, c'est pas des nombres ?
quentin, 13 décembre 2009 à 21:04

cORPS_PNG
Toujours plus de nombres

Aujourd'hui, place au dernier épisode de la saga des nombres : les nombres surréels !

Le grand débat...

IdnNationale

1 :
Preums !
Posté par Steph, 20 décembre 2009 à 00:01

2:
Un nombre, ça sert à compter ! Un, deux, trois, quatre... Ca, c'est des nombres !
Posté par Firmin, 20 décembre 2009 à 12:25

3:
Faut pas oublier zéro ! C'est le seul nombre qui existe vraiment, tout le reste, ce n'est que de la pure invention !
Posté par Bruno, 21 décembre 2009 à 13:10

4:
D3d3k1nd rulez !!
Posté par S, 21 décembre 2009 à 20:20

5:
Je rejoins le premier commentaire : un nombre, ça sert à indiquer des positions ! C'est le principe des ordinaux : "zeroième, premier, deuxième, troisième", que l'on écrit plus simplement 0, 1, 2, 3...
Après tout ça, on arrive aux infinis : ∞, ∞+1, ∞+2... Et même 2∞, 2∞+1, 2∞+2, ..., 3∞, ..., 4∞, ..., ∞²,...
C'est une idée de Cantor, tout ça ! On n'écrit pas ∞ mais plutôt ω ("omega"), mais cela veut dire la même chose : ce sont les nombre ordinaux !
Posté par Christian, 24 décembre 2009 à 10:53

6:
N'importe quoi ! Un nombre, ça sert à mesurer ! Ca doit pouvoir s'additionner, se multiplier, se soustraire ou se diviser ! Les nombres doivent représenter un corps ! C'est pour ça que les seuls nombres qui méritent une telle appellation, ce sont les nombres réels, ou les complexes, à la rigueur... Tu les soustrais comment tes ordinaux, toi ? Tu peux me dire combien c'est ω²-ω ?
Posté par Paolo, 24 décembre 2009 à 15:25

7:
Un nombre, c'est par exemple pi ou racine de 2.
Posté par Plectrude, 26 décembre 2009 à 01:47

8:
Ho, tu vas me parler autrement ! Les ordinaux ne servent pas à mesurer, mais à positionner, c'est tout. Par exemple, si tu tries les entiers par ordre croissant, mais en mettant d'abord les nombres pairs, et ensuite les impairs. Ca va donner 0, 2, 4, 6, 8, 10, ..., 1, 3, 5, 7, 9, 11, ... . Le premier, c'est "0", le deuxième, c'est "2", le troisième, c'est "4". En quelle position va arriver le "1" ? Ben il va arriver en ω-ième position ! Et le "3" sera en position ω+1. Des nombres, ça sert à positionner ! Les ordinaux existent, et ce sont des nombres autant que vos réels !
Posté par Christian, 26 décembre 2009 à 14:05

9:
Un chiffre, pour moi, c'est quelque chose d'abstrait. Vous avez déjà vu un sinus, vous ?
Posté par Mio_4, 26 décembre 2009 à 18:02

10:
On dit pas un chiffre, on dit un nombre, crétin !
Posté par Paolo, 26 décembre 2009 à 18:42

11 :
Non, mais il s'est vu, le nazi, toujours à reprendre tout le monde ?!
Posté par Christian, 26 décembre 2009 à 19:31

 

Houlà, le point Godwin vient d'être atteint, on ferme la discussion.

Si on doit résumer les idées que l'on trouve dans ce débat, il faut, pour obtenir des nombres...
- Partir seulement de 0
- Que les entiers soient des nombres
- Que les réels soient des nombres
- Que les ordinaux soient des nombres
- Qu'ils forment un corps
- Que ce corps soit algébriquement clos
- Que les sinus soient des nombres
- Que Dedekind soit un nombre (?)

Les nombres surréels
Réunir toutes ces conditions, John Conway a réussi à le faire en 1974, en fondant, sur une idée de Donald Knuth, la théorie des nombres surréels, qu'il appelle tout simplement les nombres (notés No).
Sa construction est fascinante en tout point, puisqu'elle permet de réunir au sein d'une même théorie les réels et les ordinaux, et permet de parler de nombres comme :

nombre

L'ensemble - ou plutôt la classe, on a pas le droit d'en parler comme un ensemble - des nombres surréels contient une copie des réels, une copie des ordinaux et une copie de n'importe quel corps (réel) clos. En y ajoutant le nombre i, on obtiendrait les nombres surcomplexes, qui est le corps le plus gros que l'on puisse imaginer : n'importe quel autre corps est déjà dans les surcomplexes !

Pour obtenir ces nombres, on reprend tout simplement la construction de Dedekind (celle qui consiste à boucher les trous de l'ensemble ℚ pour obtenir l'ensemble ℝ). Au lieu de la commence avec ℚ, il faut la commencer à partir de rien.

Première étape : il n'y a que 0

etape0

L'ensemble possède deux "trous" : à gauche et à droite de 0. On y place alors les nombres -1 et 1.

etape3

Deuxième étape : il y a -1, 0 et 1
L'ensemble possède maintenant 4 trous, que l'on comble en insérant les nombres -2, -1/2, 1/2 et 2

etape4

Troisième étape : il y a 7 nombres
On complète à nouveau, et 8 nouveaux nombres arrivent.

etape5

Chaque étape consiste à insérer un élément dans chaque trous, et à en ajouter à chaque extrémité.... Mais cette construction ne s'arrête pas à un nombre fini d'étapes !
Avant l'étape ω, l'ensemble des nombres dont on dispose est l'ensemble des nombres rationnels dyadiques, c'est à dire, ceux de la forme k/2n, avec k et n entiers.

La ω-étape correspond donc à compléter les trous des dyadiques, et à y ajouter des nombres aux extrémités. On ajoute donc naturellement tous les nombres réels (puisqu'entre deux dyadiques se trouve toujours un réel), mais pas seulement, puisque s'ajoutent aux extrémités les nombres -ω et ω. Plus fort encore : entre le nombre 0 et les nombres positifs s'intercale un nombre, que l'on note 1/ω.

A la ω+1-ème étape, une infinités de nombres viennent à nouveaux s'intercaler dans les "trous". Parmi ceux-là, il y a notamment ω+1 ou ω-1.

Bref, chaque étape revient donc à ajouter partout toujours plus de nombres, et ce, pendant un nombre plus qu'infini d'étapes...

Passons à la construction
Quand on regarde les choses de plus près, on déchante un peu : la définition formelle d'un nombre surréel est, non seulement récursive (on s'y attendait un peu, vu la construction), mais surtout, complètement tordue :
Si XG et XD sont deux ensembles de nombres tels que "aucun élément de gauche n'est plus grand qu'un élément de droite", alors on appelle nombre le couple (XG|XD).
(Cette définition demande une définition de "plus grand que", que je préfère passer...)

Intuitivement, on peut voir le nombre (XG|XD) comme le nombre situé entre les nombres de XG et ceux de XD.

On peut revoir les exemples précédents avec cette nouvelle définition :

Étape 0 :
En prenant comme  XG et XD l'ensemble vide ∅, on trouve le nombre (∅|∅), que l'on appelle 0.

Étape 1 :
Avec XG={0} et XD=, on trouve ({0}|), que l'on abrège par (0|), qui représente le nombre 1.
Avec XG={0} et XD=∅, on trouve (|0), qui représente -1.
On pourrait aussi prendre XG={0} et XD={0}, mais ces ensembles ne vérifient pas la définition (puisque 0≥0).
Bref, deux nouveaux éléments à l'étape 1.
Si j'avais donné la définition de ≥, on aurait pu vérifier que (|0)<0<(0|), ce qui justifie les noms -1 et 1.

Étape 2 :
Avec XG=∅ et XD={-1}, on trouve le nombre -2=(|-1).
Avec XG=∅ et XD={-1,0,1}, on trouve le nombre -2'=(|-1,0,1). On pourrait alors vérifier que -2≤-2' et que -2'≤-2 : il n'y a bien qu'un seul nombre "-2".
De la même façon, on peut trouver le nombre 0.5=(0|1)=(-1,0|1), et ainsi de suite.

Étape ω :
Avec XG={0,1,2,3,4,...} et XD=, on obtient (ℕ|), le nombre qui vient après tous les entiers : c'est le nombre ω.
Avec XG={0} et XD={..., 1/8, 1/4, 1/2, 1}, on obtient (0|..., 1/8, 1/4, 1/2, 1), le nombre positif plus petit que n'importe quelle puissance de 1/2 : on appelle ce nombre 1/ω.

Autres exemples :
Le nombre (ℕ|ω) correspond au nombre ω-1 (un nombre plus grand que n'importe quel réel, mais plus petit que ω). On a aussi ω-2 = (ℕ|ω-1), et ainsi de suite.
Le nombre (ℕ| ... ,ω-3,ω-2,ω-1,ω) correspond à ω/2.
Le nombre (ℕ| ... ,ω/8,ω/4,ω/2,ω) correspond à √ω
(On pourrait vérifier les égalités 2.ω/2= ω et √ω.√ω = ω qui justifient de tels noms, mais je préfère ne pas donner la définition de la multiplication ; je vous renvoie aux références si vous voulez en savoir plus ...)

Bref...
Si on reprend le cahier des charges :
- Partir seulement de 0 : ok (en partant de rien, on trouve une infinité d'infinités de nombres...)
- Que les entiers soient des nombres : ok (Avant l'étape ω, les nombres créés aux extrémités sont les nombres entiers)
- Que les réels soient des nombres : ok (A l'étape ω, on complète les dyadiques à la manière de Dedekind, ce qui donne les réels)
- Que les ordinaux soient des nombres : ok (La numérotation des étapes correspond à celle des ordinaux ; l'ordinal α apparaît à l'étape α)
- Qu'ils forment un corps : ok (On peut définir toutes les opérations habituelles sur les surréels, et elles se comportent de la bonne façon)
- Que ce corps soit algébriquement clos : presque (tous les polynômes n'ont pas forcément de racines (X²+1 n'a toujours pas de racines), mais les polynômes de degré impairs en ont bien une. En passant aux surcomplexes, le corps est bien algébriquement clos)
- Que les sinus soient des nombres : ok (On peut définir sur les surréels les fonctions exponentielles, sinus ou cosinus de la même façon qu'on le fait sur les réels (à partir de séries infinies, par exemple). Un nombre comme cos(ω) y est parfaitement défini)
- Que Dedekind ait son mot à dire : ok (La construction des surréels s'inspire de celle de Dedekind !)

La théorie fondée par Knuth et Conway est donc une théorie du tout, qui pose un problème fondamental : où est l'arnaque ?

Une seule ombre au tableau, en fait : les nombres que l'on obtient perdent une propriété importante, celle d'être archimédien !
Un ensemble comme ℝ est dit archimédien quand, en ajoutant suffisamment de fois une même petite longueur positive, on peut dépasser n'importe quelle longueur plus grande fixée à l'avance. Autrement dit, aucun nombre est indépassable en un nombre fini de pas.
Par exemple, en reportant suffisamment de fois la longueur 1mm, on peut dépasser le kilomètre (il suffit de la reporter 1 millions de fois).
Les surréels ne sont pas archimédiens : en faisant des pas de 1/ω, on ne pourra jamais dépasser 1 en un nombre fini de pas...

C'est finalement un bien petit sacrifice pour un si bel ensemble ! Non seulement il contient ℝ, mais on peut y transporter tout ce que l'on y connaît déjà, des fonctions trigonométriques aux équations différentielles (en passant par tout ce que l'analyse a fait de compliqué). Cette théorie permet aussi de donner de vraies définitions aux infiniment petits, et a même des applications en théorie des jeux !

Pour moi, un nombre, c'est donc un nombre que l'on peut trouver dans les surréels, ou dans les surcomplexes !

 

 

Diagramme_final
Qu'est ce qu'un nombre ? Choisissez votre case préférée !

Ah, et euh...
Bonne moitié de fêtes de fin d'année !


Sources :
Surréalisme mathématiques, de JP Delahaye, dans le Pour la science d'octobre 2008
Les nombres surréels, de moi-même, avec toutes les définitions qui manquent à l'article
Les Nombres Surréels, ou comment deux anciens étudiants découvrirent les mathématiques pures et vécurent heureux, de Donald Knuth.


Autres articles de cette série : , , , p, ℂ (1), ℂ (2), H, 𝕆, ℚ(α), 𝔽q, No

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Commentaires
S
Il me semble que vous allez trop loin dans ce qu’on peut transposer de R à la classe des surréels... A ma connaissance, on peut définir les fonctions telles que la racine carrée et l‘exponentielle, mais il ne me semble pas qu‘on puisse définir par exemple les fonctions trigonométriques, encore moins tout ce qu‘on fait en analyse réelle...
Répondre
M
Je ne suis qu'en fin de maths spé mais ce serait sympa de pousser un peu plus certains de tes articles, quitte à les faire en difficulté croissante de compréhension pour que tout le monde ne soient pas largué dès l'intro. Enfin je dis ça mais tes articles restent cependant que j'ai trouvé de mieux sur la toile, continue et bravo !
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E
Robyn Slinger > En fait, le terme "classe", contrairement à celui d'"ensemble", n'a aucun sens mathématiques, c'est juste une façon commode de regrouper des choses. Il n'est donc pas à un paradoxe près...<br /> <br /> Pour la caractéristique p, c'est une colle...<br /> <br /> Laurine > J'essaye de faire des articles pour tout le monde, autant ceux venant d'études supérieures que de ceux qui ont abandonné très tôt. C'est vrai que l'article en question est plutôt difficile, mais c'est en fait l'un des plus ardus...
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L
Bon alors là, je ne comprends vraiment rien du tout. Un peu trop brave, je me suis dit que j'allais lire un autre article, mais là, je suis carrément dans un autre univers. <br /> Ca risque d'être un peu frustrant pour toi de recevoir plein d'incultes comme moi arrivant par canalblog qui ne comprennent rien à rien à toutes tes démonstrations brillantes... il te faudra un courage et une patience... du domaine de l'infini (et j'ai la flemme de chercher le petit oméga ou le symbole de l'infini) !
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M
Quelle prise de tête ce truc, moi qui me suis arrêté à l'arithmétique à 14 ans, du vrai chinois...!
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