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Choux romanesco, Vache qui rit et intégrales curvilignes
20 mars 2010

Article L338, Modifié par Loi n°2003-327 du 11 avril 2003

C'est pas avec un titre comme ça que je vais faire de l'audience, moi...

Aujourd'hui, et je crois qu'il est de bon ton de le rappeler, ont lieu les élections des conseillers régionaux (et des conseillers à l'Assemblée de Corse) ! Quelques 43 642 325 français sont appelés aux urnes, même si la moitié restera chez elle à regarder Drucker (ou les clips sur MTV)...

Contrairement aux cantonales ou aux législatives, ces élections ont la particularité d'être "à la proportionnelle" (ou, plutôt une part de proportionnel : le premier quart des sièges est donné à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages et les 3 autres quarts sont à la proportionnelle). Le scrutin a cependant ses petites subtilités puisqu'elle fonctionne en deux tours, que les partis en dessous de 5% ne sont pas pris en compte dans la proportionnelle et que les listes à plus de 5% peuvent fusionner avec celle ayant plus de 10 % avant le deuxième tour.

Mais il y a un hic : comment répartir proportionnellement les conseillers régionaux sur les sièges qui leur sont dus ? En effet, l'application bête et disciplinée de la proportionnalité pourrait amener à devoir donner 7.67 sièges au parti A, 21.6 au parti B et 12.73 au parti C: doit-on arrondir à l'entier le plus proche en se rendre compte qu'il n'y a pas assez de sièges, ou arrondir à l'entier inférieur et laisser un siège vacant... Ou alors, répartir les derniers sièges en organisant un championnat de sièges musicaux ? Ou couper en deux les conseillers régionaux... Toute région ayant affaire à une triangulaire (3 partis) ou à une quadrangulaire (4 partis), comme c'est le cas aujourd'hui dans 18 régions sur 25, sera soumis à cette difficulté de la juste représentation.
Deux méthodes, chacune ayant leur bons et mauvais côtés, existent. Pour ces régionales, nous utiliseront une méthode "de la plus forte moyenne" (la méthode de D'Hondt), alors que d'autres  élections utilisent des méthodes "du plus fort reste" (c'est le cas de l'Italie ou de l'Allemagne pour les élections parlementaires européennes)

Méthode du plus fort reste : le quotient de Hare
Allons-y simplement : on commence par calculer le nombre exact de sièges qu'il faudrait allouer, par un produit en croix (on trouve un nombre "à virgule", avec une partie entière et une partie décimale). On attribue alors, dans un premier temps, la partie entière de l'allocation exacte. S'il reste quelques sièges à pourvoir, on les donne à ceux ayant le plus grand reste (la plus grande partie décimale). C'est le principe du plus fort reste.

Prenons un exemple simple : il y a 5 sièges à pourvoir, et les votes pour les différentes listes sont les suivants : 40 voix pour le parti vert (9%), 220 voix pour le parti rose (48%) et 200 pour le parti bleu (43%).

Alabama5
Après la prise des parties entières, il reste un siège à pourvoir, qui seront attribués au parti vert, qui a le plus fort reste.

On peut représenter ce mode de scrutin par le diagramme suivant, où le triangle représente les différentes proportions de voix possibles. Les sommets représentent alors l'unanimité des voix pour un parti, et le centre représente le 33.3%/33.3%/33.3%. Les zones découpées représentent les configurations possibles de répartition des sièges.

Varonoi5
Dans notre exemple (9%/48%/43%), on place le point jaune au barycentre des points (V,9),(R,48),(R,43). On voit que cela tombe dans la zone (1,2,2), qui correspond à la répartition que l'on avait trouvé par le calcul.
Ce genre de diagramme se généralise aux quadrangulaires en prenant un tétraèdre plutôt qu'un triangle...

On peut remarquer que le diagramme est un diagramme de Voronoï : on a découpé le triangle de façon à ce que chaque zone regroupe les points qui sont le plus près. C'est en fait le découpage le plus intuitif, ce qui explique pourquoi ce mode de partage est le premier à avoir été utilisé, notamment aux États-Unis, pour la chambre des représentants. Mais ce scrutin à ses limites...

Imaginons que, au lieu d'avoir 5 sièges à pourvoir, il y en a maintenant 6. Quand on refait les calculs, on trouve :

Alabama6
Après la prise des parties entières, il reste deux sièges à pourvoir, qui seront attribués aux partis roses et bleus

Quand on rajoute un siège, le parti vert perd son seul siège ! Ce paradoxe est connu sous le nom de paradoxe de l'Alabama puisqu'aux États-Unis en 1880, les simulations donnaient à l'Alabama 8 sièges si la chambre en comptait 299, et 7 si elle en possédait 300.

L'explication peut se voir sur le diagramme de Voronoï : quand on ajoute un siège, le diagramme est complètement modifié. On peut voir en superposant celui à 5 sièges et celui à 6 sièges que la zone (1,2,2) rencontre la zone (0,3,3), ce qui amène au paradoxe constaté.

Varonoi56
En vert, le diagramme pour 5 sièges, et en rose, le diagramme pour 6. Le point jaune, correspondant au barycentre (V,9),(R,48),(R,43) est dans la zone (1,2,2) et dans la zone (0,3,3)

Cette méthode est parfois utilisée avec des variantes. Dans le cas du quotient de Hare (que je viens à l'instant de décrire), il fallait, pour obtenir l'allocation exacte, calculer dans un premier temps le quotient électoral, ou quotient de Hare [QH = nombre de voix exprimées / nombre de sièges ]. L'allocation exacte est alors le nombre de voix × QH, ce qui revient exactement à faire un produit en croix.
Dans les variantes, on utilise d'autres quotient que le quotient de Hare. Par exemple :
* Quotient de Hagenbach-Bischoff : QHB = nombre de voix exprimées / (nombre de sièges +1)
* Quotient de Droop, utilisé en Suisse : QD = 1+ nombre de voix exprimées / (nombre de sièges +1)
* Quotient Imperiali, utilisé en Belgique : QI = nombre de voix exprimées / (nombre de sièges +2)

Ces variantes tendent à limiter le paradoxe de l'Alabama, mais il reste toujours présent : un parti peut perdre un de ses siège lorsque le nombre de sièges disponibles augmente.

Méthode de la plus forte moyenne : la méthode de D'Hondt
Pour éviter le paradoxe de l'Alabama, les méthodes de la plus forte moyenne ont été inventées. C'est celle de D'Hondt que l'on utilise en France pour les élections d'aujourd'hui, mais elle aussi utilisée en Finlande ou en république de Macédoine. D'autres pays utilisent des variantes qui entrent dans la catégorie des méthodes de la plus forte moyenne... Notons que quand le code électoral (article L338) parle de "la règle de la plus forte moyenne", c'est à la méthode de D'Hondt qu'il fait allusion.

On commence de la même façon que les méthodes du plus fort reste, en donnant à chaque parti la partie entière du nombre de sièges qu'il mérite. Il reste alors quelques sièges qu'il va falloir partager, un à un, en suivant la méthode de d'Hondt :
On attribue un siège fictif à tous les partis en présence. Celui qui aura le plus grand rapport [nombre de voix]/[nombre de sièges] remportera ce siège fictif, qui du coup ne sera plus fictif. On procède de la même façon s'il reste encore des sièges.

La première répartition des sièges n'est là que pour simplifier le processus ; on pourrait tout à fait donner les sièges un à un à partir du premier on utilisant la méthode de D'Hondt. Les deux méthodes sont de toutes façons équivalentes.

Reprenons le cas de la triangulaire vert-rose-bleu, avec respectivement 40, 220 et 202 voix. Il faut à présent se répartir sur 11 sièges :

Hodt
A l'issue de la première répartition, il reste deux sièges à pourvoir. Le premier est remporté par le parti bleu, et le second par le parti vert.

Si un douzième siège venait à être ouvert, aucun problème ne surviendrait : il suffit de calculer les nouvelles moyennes (qui seraient V:20, R:36.67 et B:33.67) pour voir que le douzième siège serait donné au parti rose. Un 13eme siège serait attribué bleu.
Le paradoxe de l'Alabama ne peut plus arriver ici, puisque les sièges sont données au tour par tour jusqu'à ce qu'il ne reste plus de sièges.

Cette méthode n'est tout de même pas dénuée de paradoxe, et il peut arriver que le nombre de sièges obtenu par un parti ne soit pas un arrondi de l'allocation exacte. C'est l'objet du théorème de Balinski-Young : un système d'élection à la proportionnelle qui ne souffre pas du paradoxe de l'Alabama peut, dans certaines circonstances, donner un résultat qui ne soit pas un arrondi de l'allocation exacte (voir [1] pour un exemple chiffré)

De la même façon, quelques variantes existent, en changeant la manière de calculer la moyenne fictive. Dans le cas de D'Hondt, on calcule pour chaque parti la moyenne vi/(si+1) [où vi est le nombre de voix et si est le nombre de sièges).
* Méthode de Sainte-Laguë, utilisé en nouvelle Zélande ou en Norvège : on prendra pour moyenne le nombre vi/(si+1/2)
* Méthode de Huntington-Hill, utilisé aux États-Unis depuis 1880 : on prendra pour moyenne le nombre vi/√(si²+si)

Bon, c'est pas tout ça, mais je dois quand même aller voter, moi...


Sources :
[1] Le blog de David Madore, entrées du 9 et 10 juin, avec les diagrammes correspondant aux méthodes.
[2] Wikipedia fait aussi le tour des modes de scrutins proportionnels.

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Commentaires
E
Etkie > L'idée est de, à partir de chaque point du triangle (qui représente toutes les proportions de voies possibles), regarder quel assemblée cela donne. Après, c'est par un raisonnement géométrique qu'on aboutit aux hexagones.
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E
Comme Tipierre, j'ai trouvé l'article intéressant et bien écrit.<br /> Juste une petite question : comment on passe du quotient de Hare au diagramme de Voronoï ?
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T
Super article ! Très clair et bien illustré par ses exemples. Et intéressant !<br /> Un bémol, dans la méthode de D'Hondt, tu dis que le siège restant considéré est attribué au parti avec le meilleur [nombre de voix]/[nombre de sièges] sans préciser que le nombre de siège est le nombre qu'ils possèdent déjà en comptant celui qu'on leur a fictivement rajouté. Je pensais au début que c'était le nombre de sièges total. Je me disais "mais le vainqueur va avoir tous les sièges restants !"
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