Arrêt sur image
Vendredi soir (le 16 avril 2010), vers 20h30, on a pu voir dans le grand journal de Michel Denisot sur Canal + (une émission grand public) ... des maths ! Pour le nombreux qui ont raté cet évènement, je propose aujourd'hui un petit rattrapage !...
Deux invités de marque sont présents (Eugène Saccomano et Thierry Roland) et un invité insolite, Emmanuel Memmy, alias "petit Mozart des maths". Il a 13 ans et est en 3ème, sauf pour les maths qu'il suit 8 heures par semaine au lycée. On apprend donc qu'il a un QI de 155, qu'il savait déjà lire, écrire et compter en maternelle, qu'il est plutôt poussé par son père ou que les maths n'aident absolument pas à séduire les filles (On peut revoir l'émission en streaming -voir "la suite 1" et "la suite 2"- sur le site de C+, et un article de Montpellier.maville.com dresse son portrait). Jusqu'au moment où Denisot lance le teasing de la mort : "après la pub, vous allez faire... une équation !".
L'équation de la mort qui tue...
Pour ceux qui ont la flemme de regarder la vidéo (surtout que les vidéos ne resteront pas éternellement en VOD), en voici une retranscription :
M. Denisot : Le grand journal la suite, avec Eugène Saccomano, Thierry Roland et un jeune surdoué en mathématiques de 13 ans, Emmanuel Memmy, qui est avec nous. Vous êtes doué en équations Eugène et Thierry ?
E. Saccomano : Ah ! Terrible ! J'étais exceptionnel en mathématiques ! J'avais des zéros pointés à tous les coups ! Autant, j'étais bon en français et en italien, autant j'étais nul en maths !
T. Roland : Moi, j'étais totalement nul aussi.
M. Denisot : Très bien ! On va donc tout apprendre avec vous. Alors, l'équation, c'est 2x+3y=1.
A. Massenet : À résoudre dans Z ! C'est bien ça ?...
E. Memmy : L'ensemble des entiers relatifs...
A. Massenet : Vous me l'enlevez de la bouche. (E. Memmy se lève et va vers le paperboard pour résoudre la dite équation). Commentez-nous, puisque sinon, on va rien capter.
E. Memmy : Donc ça, c'est le nom de l'équation. 2x+3y=1. Je trouve une solution particulière. La première qui vient, c'est x0=-1 et y0=1. D'accord ? Après, j'écris 2×(-1)+3×(1)=1. Ensuite, je soustrais les deux équations : 2(x+1)+3(y-1)=0.
M. Denisot : Tout le monde a suivi ? Y'a pas de problèmes ? (rires)
E. Memmy : Je passe ce terme de l'autre côté. Ça donne 2(x+1)=-3(y-1)
A. Massenet : Ah ! Bah voilà !
M. Achour : Je te l'avais dit, Ariane !
E. Memmy : Alors là, je vais utiliser le théorème de Gauss...
A. Massenet : Bah bien sûr ! (rire)
M. Denisot : Il était temps !
A. Massenet : C'était le moment ou jamais !
M. Achour : Je te l'avais dit, Michel, qu'il allait le faire !
E. Memmy : 2 divise -3(y-1), mais 2 est premier avec -3, donc 2 divise (y-1)
A. Massenet : Humm humm...
E. Memmy : Et là, j'écris y-1=2k, où k∈ℤ, puisqu'on résout dans ℤ.
M. Achour : Ben évidemment !
E. Memmy : y=2k+1. Après, je remplace dans la première équation. Ça me donne 2x+6k+3=1. Je passe de l'autre côté, ça me donne 2x=-6k-2. Je divise par 2 : x=-3k-1.
A. Massenet, en regardant sa feuille : Voilà !
E. Memmy : Après, j'écris S={...
A. Massenet : C'est quoi le petit zigouigoui ?
E. Memmy : C'est l'ensemble des solutions, avec une accolade. J'y peux rien, c'est comme ça.
M. Denisot : C'est assez connu ...
E. Memmy : S={-3k-1;2k+1}
E. Chassaing : J'ai l'impression qu'on est les sous-doués !
M. Denisot : Donc là, c'est fini ?
E. Memmy : Oui.
E. Chassaing : Eh ben, Michel, c'est fini, enfin ! (Applaudissement)
A. Massenet : On peut juste peut-être demander dans le public. Y a quelqu'un qui a compris quelque chose ? (Une seule main se lève dans le public, applaudissements)
Bref, 3 minutes de pur bonheur télévisuel ! Ça commence doucement, avec la découverte de l'ensemble Z des entiers relatifs, mais on sent que la séquence commence à devenir trop longue quand arrive le théorème de Gauss. Ça devient complètement n'importe quoi quand Memmy continue sa rédaction après avoir écrit "x=-3k-1" !
On a d'un côté le génie incompris, puisqu'il a réussi à résoudre, sans se tromper, l'équation diophantienne linéaire à deux inconnues 2x+3y=1. Autrement dit, trouver tous les couples de nombres entiers vérifiant 2x+3y=1. Savoir résoudre ce genre de chose est au programme des maths en Terminale option maths, et on le retrouve dans les premières années de licence dans quelques parcours scientifiques. C'est normalement compréhensible par n'importe qui sachant compter (pour peu que ça soit expliqué sans trop d'abstractions mathématiques, contrairement à ici). La méthode de résolution utilisée par E.Memmy est ultra classique pour celui qui a à peu près écouté en classe. L'équation ici a des petits coefficients, il a même pu sauter une grosse étape de la résolution, qui est de chercher la solution particulière (on passe habituellement par l'algorithme d'Euclide, mais la solution (-1,1) est ici évidente). On peut même critiquer : l'écriture S={-3k-1;2k+1} n'a pas vraiment de sens mathématiques, même si c'est compréhensible (il aurait plutôt fallu écrire S={(-3k-1,2k+1) ; k∈ℤ} ). Qui plus est, il n'a vérifié qu'une inclusion... Bref, E. Memmy a montré ici qu'il avait parfaitement assimilé une compétence exigible pour le bac (ce qui mérite quand même des applaudissements : il a 13 ans !).
De l'autre côté, il y a des journalistes (des littéraires, donc), pour qui l'ignorance en maths n'a jamais été un problème (contrairement à l'ignorance en français, en histoire ou en géographie, vraiment intolérable) : on se fout de ce qu'est ℤ, on se gausse du théorème de Gauss - Tiens, encore un génie précoce -, on découvre l'existence des accolades... Il faut avouer que l'on aurait fait la même chose devant une présentation sur les enchaînements hétéroatomiques diéniques azotés ou dans un cours de sociologie de troisième année. Petite différence quand même : les ensembles comme ℤ, ça s'apprend aujourd'hui en seconde...
Avec des maths en prime-time, on aurait pu s'attendre à une revalorisation des sciences... On a finalement eu une séquence caricaturale de mathématiques scolaires... J'avoue, je ne suis pas vraiment étonné. Je félicite tout de même le gars du public qui a eu le courage de lever la main pour dire que lui aussi avait été à l'école !
Passons plutôt à autre chose.
Le carré magique
Arrive la deuxième séquence : Kamel le magicien ! Pour situer l'affaire, c'est le magicien qui intervient de temps en temps dans l'émission pour faire des tours en rapport avec l'invité (en général, des tours de close-up ou de lecture de pensées). Contrairement au reste de l'équipe du Grand Journal, il aime a peu près les maths, et c'est donc tout naturellement qu'il propose deux tours à base d'additions. Je vais donc faire quelque chose qui ne se fait absolument pas : expliquer le tour de magie ! Notons tout de même que ce tour de magie n'est pas tout à fait inédit, puisqu'il avait été fait la veille (15 avril 2010) dans l'émission de Cauet (disponible en streaming sur le site de tf1, disponible jusqu'au 27 avril. C'est vers la 42eme minute)
Le tour :
Kamel demande à Thierry Roland un chiffre (on dit "un nombre" !!!!) entre 22 et 99. Ça sera 44. Il lance un chronomètre, et écrit en moins de 18 secondes ceci :
C'est un carré magique : quand on fait la somme selon les lignes, les colonnes, les diagonales et certains sous-carrés, on trouve la constante magique : 44 ! Noter tout de même que tous les nombres sont différents (il aurait été trop facile de mettre des 11 partout).
24 façons de trouver 44 comme somme de 4 nombres (j'espère ne pas en avoir oublié)
Comment a-il-fait pour remplir si vite son carré magique ? (Ou du moins, comment pense-je qu'il a fait ?)
Explication :
Une fois le nombre N donné (ici, 44), il suffit simplement de calculer x=N-21 (ici, x=23). Ceci explique aussi pourquoi il a demandé un nombre plus grand que 22... Il n'y a plus qu'à remplir le tableau suivant, préalablement mémorisé :
Qui donnera le carré magique recherché ! (Chaque ligne, colonne, diagonale ou sous-carré magique a une somme de x+21). On peut remarquer que dans la vidéo, il commence par placer tous les nombres de 1 à 12, et c'est ensuite qu'il met 23, 24, 25 et 26.
Cette méthode vient du fait que lorsque l'on ajoute un même nombre sur une "permutation figurée diagonale" du carré. Autrement dit, en partant d'un carré normal (un carré est dit normal quand tous les nombres de 1 à 16 apparaissent), on peut ajouter un même nombre y sur les cases (1,1), (3,2), (4,3) et (2,4). (En prenant y=N-34, on trouve le carré magique adéquat)
De la même façon, un carré magique reste magique quand on ajoute ou multiplie tous ses coefficients par un même nombre. Si le nombre N est trop grand, on peut commencer par faire le carré magique pour N'=N-40, et ajouter ensuite 10 à tous les coefficients (ce qui donnera un carré magique un peu plus homogène).
Le mentaliste de Tf1 n'utilise pas la même technique, mais elle est tout de même drôlement moins efficace (Il fait son carré magique en 51 secondes, alors que Kamel n'en met que 19)
La somme impossible
Mais ce n'est pas tout ! Notre ami Kamel a un deuxième tour dans sa poche ! Le fameux tour de l'addition super-compliquée !
Le tour :
Kamel demande à Thierry Roland de lui indiquer 3 personnes dans le public, qui vont lui donner autant de nombres à 4 chiffres. Le magicien choisit enfin une dernière personne qui lui donne un dernier nombre à 4 chiffres, puis demande au matheux de service de faire l'addition de ces 4 nombres. Il trouve 23957. Il demande alors aux 5 supporters des bleus dans le public de se retourner : les chiffres forment alors 23957 !
Explication :
Là, par contre, c'est de la vraie magie ! Ou alors, c'est juste que l'addition que le génie des maths a calculé avait été préalablement écrite sur le carnet qu'il a discrètement retourné, et n'a rien à voir avec les nombres donnés...
Bref, un bon petit début de soirée "des maths à la télé", avec quelques clichés comme "les maths c'est du chinois" ou "toi qui es fort en maths, combien ça fait...". Heureusement, après, on pouvait zapper pour voir Koh-Lanta et L'amour est aveugle, de quoi reposer un peu le cerveau !