Tuning de dés à disposition des amateurs de Chifoumi
Quel est le point commun entre une partie classique de Pierre-Feuille-Ciseaux, les trois starters d'un Pokémon, le paradoxe de Condorcet et des dés tunés ?
La question est pointue, mais la réponse est très simple : c'est la non-transitivité ! Évidemment !
Au jeu Pierre-Feuille-Ciseaux, la pierre casse les ciseaux, les ciseaux découpent la feuille et la feuille enferme la pierre. Chez les Pokémon, Salamèche possède un avantage non négligeable sur Bulbizarre, qui bat facilement Carapuce, qui prend le dessus sur Salamèche. Le paradoxe de Condorcet est un problème classique des élections : il peut arriver que le candidat A soit majoritairement préféré au candidat B, lui-même préféré à la candidate C, elle-même préférée au candidat A...
Les dés de Oppenhheimer fonctionnent sur le même principe : le premier dé a plus de chances de battre le deuxième, qui a plus de chance de battre le troisième, qui a plus de chances de battre le premier.
Aujourd'hui, donc, un (tout) petit article sur ces merveilleux dés que sont les dés non-transitifs !
Les dés d'Oppenheimer
Prenons un exemple : 3 dés A, B et C avec pour faces respectives (2,2,4,4,42,42), (1,1,6,6,8,8) et (3,3,5,5,7,7) (il revient au même de prendre 3 dés à 3 faces). Avec un peu de dénombrement, on peut calculer les probabilités qu'ont un dé d'en battre un autre :
Qui bat qui ? Le tableau des résultats.
A l'issue des calculs, on trouve donc que :
- le dé A bat le dé B avec une probabilité de 20/36 (55,55%)
- le dé B bat le dé C avec une probabilité de 20/36 (55,55%)
- le dé C bat le dé A avec une probabilité de 20/36 (55,55%)
Autrement dit, sur les dés, la relation "avoir plus de chances de battre" n'est pas transitive...
Mais il existe des jeux de 3 dés encore plus efficaces, où la probabilité qu'un dé batte son prochain est encore plus grande : 21/36 (soit 58,33 %). Je les appelle "dés de Oppenheimer", en référence à une énigme parue en 2009 dans le New York Times (là). En imposant d'avoir tous les numéros de 1 à 18, on en trouve 15 différents.
Un exemple : le jeu {(1,10,11,12,13,14), (5,6,7,8,9,18), (2,3,4,15,16,17)} : un dé bat le suivant avec une probabilité de (au moins) 21/36.
Fait intéressant : dans tous ces jeux optimaux, il en existe un ayant pour moyenne 9.5 (la somme des points des 3 dés est 171, la moyenne de points par dé est donc de 57 : il y a toujours un dé réalisant cette moyenne).
En fait, on peut trouver des jeux de dés non-transitifs pour les probabilités 19/36, 20/36 et 21/36. Pas plus.
Dans le même genre, on a aussi les dés de Miwin. En relançant les dés en cas d'égalité, ils fournissent un exemple de jeu de dés non-transitifs de probabilité 17/33 (51,52%).
Les dés de Miwin, ayant pour faces (1,2,5,6,7,9), (1,3,4,5,8,9) et (2,3,4,6,7,8)
En plus d'être non-transitifs, les dés de Miwin, inventés par le physicien Michael Winkelmann, en 1975 possèdent la même somme totale (30), et donc, la même moyenne arithmétique (5).
Les dés d'Efron
Puisque le Pierre-Feuille-Ciseaux se généralise en Pierre-Feuille-Ciseaux-Lézard-Spock (où les ciseaux coupent le papier, le papier couvre la pierre, la pierre écrase le lézard, le lézard empoisonne Spock et Spock écrase les ciseaux), il n'y a pas de raison de ne pas généraliser les dés non-transitifs. C'est là que le statisticien Bradley Efron intervient, avec son jeu de 4 dés à six faces :
Les dés d'Efron : (4, 4, 4, 4, 0, 0), (3, 3, 3, 3, 3, 3), (6, 6, 2, 2, 2, 2), (5, 5, 5, 1, 1, 1)
Après calculs, on trouve que la probabilité qu'un dé batte le suivant est de... 66,67 % !
Si on cherche à employer tous les numéros de 1 à 24, les dés d'Efron prennent les valeurs suivantes :
- A: 1, 2, 16, 17, 18, 19
- B: 10, 11, 12, 13, 14, 15
- C: 3, 4, 5, 20, 21, 22
- D: 6, 7, 8, 9, 23, 24
On peut aussi faire en sorte que tous les dés aient le même nombre de points, en jouant sur les extrêmes...
Les dés de Sicherman
Puisque j'en suis à parler de dés, je ne peux pas passer à côté des de Sichermann : des dés qui se comportent comme une paire de dés classiques, mais qui ne sont pas des dés classiques !
Les deux dés de Sicherman, avec pour faces (1,2,2,3,3,4) et (1,3,4,5,6,8)
Quand on lance deux dés équilibrés à six faces et qu'on calcule la somme de leurs valeurs, on trouve la loi de probabilité classique :
Somme de deux dés classiques
Quand on lance les deux dés de Sicherman et qu'on calcule la somme de leurs valeurs, on trouve la même loi de probabilité !
Somme des deux dés de Sicherman
Fait surprenant supplémentaire : c'est la seule paire de dés qui peut égaler un jeu classique ! Il faut cependant imposer que les faces des dés soient strictement positives, parce que c'est trop facile de prendre des dés qui ressemblent à ça :
La démonstration, exhibant l'existence d'un tel jeu de dés, fournit une application inattendue de la théorie des polynômes cyclotomiques, et est évidemment généralisable pour chercher des jeux de dés de Sicherman à n faces...
Sources :
Un mélange de Wikipédia et de ce site qui propose un programme permettant de chercher des jeux de dés non-transitifs.
Les images viennent de là et de là (et de chez Nintendo, mais faut pas le dire trop fort)