Le problème avec l'intégration
En ce dimanche, le peuple français est appelé à faire son devoir de citoyen : se connecter sur ce blog pour voir s'il y a enfin de la nouveauté. Pour une fois, la réponse est oui ! Youpi !
Ce week-end, je parlerai d'un sujet grave, l'intégration, et d'un théorème injustement ignoré : le théorème de Liouville-Rosenlicht, qui ose dire que toutes les fonctions ne se valent pas. Certaines s'intègrent très bien, alors que d'autres refusent la main qu'on leur tend. Et je ne parle ici que des fonctions élémentaires.
On peut appeler fonction élémentaire toutes les fonctions que l'on peut construire avec des exponentielles, des logarithmes ou des opérations algébriques usuelles (+, -, ×, ÷, ^, √). Les fonctions trigo (cos, sin, arctan, acoth) y rentrent également, puisqu'on peut les écrire à partir d'exponentielles ou de logarithmes. Ainsi, les fonctions 3x² ou (e3x-1/√x+log(4x2))x sont des fonctions élémentaires.
Avec de l'entrainement et un bon logiciel de calcul formel, vous devez être capable de calculer la fonction dérivée de n'importe quelle fonction élémentaire. Les formules sont simples, s'appliquent sans difficultés. Mais pourquoi est-ce si difficile de faire l'opération inverse, et de calculer des primitives ?
Au lycée, on découvre que certaines fonctions s'intègrent facilement, comme les fonctions polynômes (x20/2) ou les fonctions trigonométriques (cos(x)+sin(x)).
Puis, en licence, on découvre que certaines fonctions s'intègrent n'importe comment :
Et puis, on finit par ne plus chercher à s'embêter, et on invente de nouvelles fonctions quand ça nous arrange.
On ne sait pas intégrer sin(x)/x (le sinus cardinal) ? Eh bien, on invente la fonction Si(x) (sinus intégral), dont la dérivée est précisément sin(x)/x.
On ne sait pas intégrer e-x² ? Eh bien, on invente la fonction erf (Fonction d'erreur de Gauss), dont la dérivée est ex² (à peu de choses près).
On ne sait pas intégrer cos(x²) et sin(x²) ? Eh bien, on invente les fonctions C(x) et S(x) (Les fonctions de Fresnel), dont les dérivées sont plus ou moins ce qu'on attend d'elles.
Du coup, les primitives des fonctions deviennent plus faciles à apprendre, mais perdent en subtilité :
Mais est-ce une fatalité ou de la pure flemme mathématique ? Peut-être a-t-on mal cherché, et qu'il existe quelque part une fonction tordue dont la dérivée donne ex/x ?...
La réponse est non, c'est une fatalité. Et cette fatalité a un nom : le théorème de Liouville-Rosenlicht !
Ce théorème, démontré en 1834 par Liouville, (que je préfère ne pas énoncer) indique à quoi peut ressembler la primitive (si elle existe et qu'elle est élémentaire) d'une fonction élémentaire. La conséquence, c'est que seule une petite catégorie de fonctions ont une primitive de complexité équivalente (et encore, il faut admettre que les logarithmes sont aussi complexes que les polynômes). Cela dit, le théorème ne donne que peu d'indications sur la primitive de la fonction de l'on cherche à intégrer.
La théorie revient au goût du jour dans les années 1940 avec les travaux de Ostrowski et Ritt. En 1968, Rosenlicht fournit la démonstration la plus classe du théorème, entièrement algébrique.
On se retrouve donc avec deux types de fonctions élémentaires : une minorité qui admettent des primitives élémentaires (les polynômes, les fonctions rationnelles...), et une majorité qui admettent aussi une primitive, mais non élémentaire (il faut alors inventer de nouvelles fonctions pour pallier les manques).
Il ne faut pas sa voiler la face : certaines fonctions n'ont pas de primitives, il va falloir vivre avec ça.
Sources :
Quelles sont les primitives de e-x² ? De sin(x)/x ? De xx ? par Matthew Wiener