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Choux romanesco, Vache qui rit et intégrales curvilignes
23 juin 2012

Les androïdes rêvent-ils de tests de Turing ?

Alan Turing, ce n'est pas que la machine de Turing ou le décryptage de Enigma. Pour ce troisième article consacré à la vie et à l'oeuvre de Turing, dont on célèbre aujourd'hui le centenaire de sa naissance (comme nous le rappelle aujourd'hui google), on va causer brièvement de philosophie : une machine peut-elle penser ? Un test est là pour répondre à cette question : le test de Turing.

CaptchaProuve-moi que tu n'es pas un robot et recopie ces caractères.

Le test de Turing
Après la guerre, Turing continue de travailler sur ce qu'il sait faire de mieux : inventer l'informatique. S'en suivra la construction du Manchester Mark I, l'un des premiers ordinateurs au monde. Une machine capable, entre autres, de découvrir quels sont les nombres premiers de Mersenne ! On venait de créer un monstre, un "cerveau électronique", une machine capable de penser !...

C'est à ce moment-là que Turing devint philosophe : une machine peut-elle réellement penser ? Il y répondra en 1950 dans l'article computing machinery and intelligence, publié dans la revue de philosophie Mind. Plutôt que de s'embourber dans une réflexion sur le sens profond de "machine" ou de "penser", il se montre pragmatique, et propose le "jeu d'imitation" : installé devant un écran, vous chattez avec un inconnu. En lui posant des questions, seriez-vous capable de savoir si vous discutez avec une véritable personne ou avec un programme informatique ? Si vous répondez non, il est déjà trop tard : une machine peut penser !

Le jeu de l'imitation (rebaptisé "Test de Turing" dans les années 70) n'est pas exactement l'expérience présentée ci-dessus. Le jeu de l'imitation original se joue à 3 joueurs : une femme F, un homme H et l'interrogateur I. F et H peuvent communiquer indirectement avec I (par l'intermédiaire d'un terminal, par exemple), mais ne peuvent communiquer entre eux. Le but du jeu pour I est d'identifier qui est l'homme qui est la femme, sachant que H fera tout pour se faire passer pour une femme, et F fera tout pour convaincre son interlocuteur qu'elle est une vraie femme. Turing se pose alors la question : si une machine prend la place de H, pourra-t-il jouer aussi efficacement qu'un véritable humain.

TuringTestA gauche, le jeu d'imitation : I saura-t-il découvrir qui est la véritable femme ?
A droite, le test de Turing : I saura-t-il découvrir qui est la véritable femme ?

Bon. On pourrait tergiverser en se demandant "ce test permet-il réellement de savoir si une machine peut penser ?", "Une intelligence artificielle serait-elle capable de le franchir avec succès ?" ou "De toute façon, c'est Dieu qui donne l'âme, et Dieu n'est pas du genre à donner une âme à une machine". Plutôt que de détailler la pensée de Turing (des tas d'articles le relatent mieux qu'ici), je vais me contenter de résumer la pensée de Turing : "oui", "oui", "Osef, Dieu fait ce qu'il veut".

Ce test sert donc à se décider sur le fait que quelque chose peut ou ne peut pas penser, au même titre qu'un test de pH permet de savoir si une solution est acide ou basique. Attention, on ne peut pas faire passer le test à n'importe qui : un mec bourré, pourtant doué d'une relative intelligence, échouera au test. De même, une photocopieuse ou un dauphin ne pourront même pas passer le test. Bien que l'on ait peu de doute sur les capacités cognitives d'une photocopieuse, celles du dauphins peuvent être discutées, et ce n'est pas le test de Turing qui résoudra le problème !

L'intérêt de cette expérience de philosophie, c'est qu'elle peut être réellement mise en place. C'est ce que fait Hugh Loebner chaque année, en organisant le tournoi Loebner, qui récompense le chatterbot ayant la plus grande humanité. Dans ce concours, un jury doit noter, après 5 minutes de bavardage, à quel point leur interlocuteur est humain. Le tournoi montre surtout à quel point la place de l'interrogateur est difficile à tenir : lors de la première édition en 1991, un humain a été jugé machine à cause de sa trop grande connaissance de Shakespeare. Parmi les gagnants, on peut citer ALICE en 2000, 2001 et 2004 ou Elbot en 2008. Le tournoi s'arrêtera le jour où une machine sera aussi douée qu'un être humain pour comprendre un texte, une image ou un son. A priori, ce jour-là, les machines domineront le monde, donc on ne s'inquiétera plus de savoir s'il faut continuer ou non un tournoi douteux.

L'antitest de Turing : le CAPTCHA
L'internaute moyen croise très souvent les tests de Turing : les CAPTCHA ("completely automated public Turing test to tell computers and humans apart"). Ce sont les caractères - généralement difficiles à déchiffrer - qu'il faut recopier pour prouver au formulaire que l'on est un véritable être humain, et non un méchant bot spammeur.  Imaginé en 2000, le CAPTCHA n'est pas réellement un test de Turing, mais plutôt son contraire : il ne s'agit pas pour une machine de faire croire à un être humain qu'elle est humaine, mais de convaincre une machine que l'on est une personne. Le prix Loebner a montré qu'il était difficile pour un robot de se faire passer pour une humain, mais les méchants pirates du monde entier ont malheureusement prouvé qu'une machine suffisamment entraînée peut facilement convaincre une autre machine qu'elle est humaine en cassant du CAPTCHA à la chaîne... Son avenir n'est plus en la reconnaissance de symboles, mais plutôt en la reconnaissance de forme (le fameux cat CAPTCHA, qui propose de retrouver les stars d'Internet parmi d'autres chiens).

Captcha2Prouve-moi que tu n'es pas un robot, et réponds à cette question.

La chambre chinoise
Exposons tout de même un contre-argument au test de Turing comme preuve de l'existence de la pensée artificielle, celui de la chambre chinoise. Cette expérience de pensée a été proposée dans les années 80 par le philosophe John Searle.

Vous êtes isolé dans une pièce, et on vous pose une question en chinois. Vous vous devez de répondre dans la même langue. Seul souci : vous ne parlez absolument pas chinois. Vous avez par contre à disposition des manuels qui expliquent comment on peut trouver la réponse à la question seulement en manipulant les symboles, mais sans jamais expliquer le sens des sinogrammes. En faisant ça, vous faites le même travail que l'ordinateur : seulement de la manipulation de symboles. Est-ce de la pensée ?...

La question est encore ouverte.


Sources :
Computing machinery and intelligence, par A. M. Turing. L'article original.
Imitation et authentification, le Test de Turing et la cryptologie, par Bastein Guerry

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Commentaires
C
Excellent comme d'habitude.<br /> <br /> Mon humble avis (le troll en moi est toujours plus fort :P): Il ne fait aucun doute(c'est juste mon avis) qu'on réalisera un jour une machine pensante, qu'elle partage des valeurs humaines est une autre histoire (notre pensée est tant conditionné par le physique et le physiologique, faim, douleur, etc...) Mais ce qui est sur c'est que tous ces programmes reconnaissant des chats, dialoguant de plus en plus parfaitement, ne pensent guère plus qu'une photocopieuse (c'est toujours juste mon avis).<br /> <br /> Tant qu'on construit dans le but de vaincre le test, on ne fera jamais rien de bon (dans la problématique de penser) :).<br /> <br /> D'un autre cote il y a toute ces belles approches non supervisées qui nous donneront peut être assez vite le niveau de conscience qu'un lézard peut avoir.<br /> <br /> <br /> <br /> Truc rigolo: Watson d'IBM sur youtube.
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F
2 commentaires mineurs :<br /> <br /> - les captcha sont bien des tests de Turing : il s'agit bien de différencier par test logiciels et humains.<br /> <br /> - parler le chinois ne veut rien dire : l'écriture est commune, pas la langue orale.<br /> <br /> Excellent comme toujours, vivement la suite !
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C
C'est donc sa faute si je dois m'y reprendre à trois fois quand je veux télécharger un truc ?!
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B
Très bon article. Pas mal le coup du 42 !
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R
Un intéressant article, comme d'habitude !
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