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Choux romanesco, Vache qui rit et intégrales curvilignes
8 février 2015

Deux minutes pour l'hôtel de Hilbert

Vignette

J'en avais déjà parlé sûr ce blog il y a bien longtemps, mais cette histoire d'hôtel possédant une infinité de chambre est vraiment parfaite pour aborder la notion d'infini (et s'il le faut, j'en ferai un nouvel article dans 7 ans...)

Transcription :
En 1891, Georg Cantor défraye la chronique en annonçant au monde entier que tous les infinis ne se valent pas : certains infinis seraient plus grands que d'autres.
Trente ans plus tard, David Hilbert propose lors d'une conférence sa métaphore de l’hôtel, qui permet de comprendre pourquoi l'idée de Cantor, même si elle semble paradoxale, n'a absolument rien de stupide. Ça tombe bien, j'ai environ deux minutes pour en parler.

Sur la merveilleuse planète des mathématiques, il existe quelque part un hôtel très particulier : le grand hôtel de Hilbert. Cet hôtel possède un nombre infini de chambres, numérotées 0, 1, 2, 3, etc.

Ce soir là, il est 19h, et chaque chambre est occupée. malheureusement, un nouveau client se présente à l'accueil, et désire à tout prix une chambre pour la nuit. Puisque l’hôtel est complet, la situation semble impossible, et pourtant...
Après deux minutes de réflexion, le gérant répond « pas de problème », et annonce via les hauts-parleurs de l'hôtel que chacun des clients doit changer de chambre.
Le client de la chambre n°0 doit se déplacer dans la chambre n°1, celui de la chambre n°1 ira dans la chambre n°2, celui de la chambre n°2 ira dans la chambre n°3, et ainsi de suite : le client de la chambre n°n doit se rendre dans la chambre n° n+1.
La chambre n°0 est donc maintenant libre, et le nouveau client pourra donc y loger.
On peut donc finalement dire que ∞ +1 = ∞.

Malheureusement, à 21h, ce n'est pas un nouveau client qui se présente à l'accueil, mais un bus complet qui comporte une infinité de touristes. Dans ce bus, chaque siège est numéroté 0, 1, 2, …, et chacun de ces touristes veut sa chambre. Pour le gérant de l’hôtel, ce n'est encore une fois pas un problème.
Après deux minutes de réflexion, il se saisit de son micro, et annonce aux clients de l’hôtel les nouvelles directives à suivre.
Le client de la chambre n°1 doit se déplacer dans la chambre n°2, celui de la chambre n°2 ira dans la chambre n°4, celui de la chambre n°3 ira dans la chambre n°6, et ainsi de suite : le client de la chambre n°n ira ainsi dans la chambre n°2n.
Suite à ces déplacements, les chambres numérotées par des nombres pairs sont occupées, tandis que les chambres numérotées par des nombres impairs sont maintenant libres. Le touriste de la place 0 pourra donc loger dans la chambre n°1, celui du siège n°1 ira dans la chambre n°3, celui du siège n°2 se rendra dans la chambre n°5, et ainsi de suite : le touriste du siège n°y ira dans la chambre n°2y+1.
Finalement, on vient de démontrer que ∞ + ∞ = ∞.

Le lendemain, alors que l'hôtel s'est vidé, c'est une infinité de bus contenant un nombre infini de clients qui se présentent. Les bus sont numérotés 0, 1, 2, 3, etc, et dans chaque car, les places sont numérotées 0, 1, 2, 3, etc.
Encore une fois, cela ne va poser aucun problème au gérant de l'hotel, mais les clients devront respecter ses consignes.
Dans un premier temps, le 1er client du 1er bus (c'est à dire, le client du bus n°0 et du siège n°0) ira dans la chambre n°0.
Dans un second temps, le 1er client restant dans chacun des deux premiers bus (c'est à dire, le client du bus n°0 siège n°1, et le client du bus n°1 siège n°0) iront dans les deux chambres suivantes (chambre n°1 et n°2).
Dans un troisième temps, on logera dans les trois chambres suivantes le 1er client restant dans chacun des trois premiers bus, et ainsi de suite. En suivant cette procédure, chaque client se verra assigner une chambre pour la nuit. On peut même être plus précis, et prouver que le client du bus x et de la place y sera logé dans la place n° x + ½ [(y+x)²+y+x]. Chaque client a sa chambre, et chaque chambre a son client.
On vient donc de prouver que ∞ × ∞ = ∞.

Le lendemain, l’hôtel s'est une nouvelle fois vidé, mais c'est un bus d'un tout autre type qui se présente à l'accueil : dans ce bus, les clients sont infiniment serrés, puisque les sièges sont numérotés non pas par les nombres entiers, mais par tous les nombres réels de l'intervalle [0,1]. On pourra donc parler de la place 0,5, de la place 1/3, de la place π – 3 ou de la place √2/2.
Cette-fois-ci, il y a vraiment un problème. On pourrait trouver un moyen de loger tous les clients dont le numéro du siège est un nombre décimal. On pourrait même loger ceux dont le siège est une fraction rationnelle. Mais cette foule-ci est trop dense : cet infini des nombres réels est strictement plus grand que celui des nombres entiers, et c'est à Cantor que l'on doit cette découverte.

Essayons quand même de voir ce qu'il se passerait si on trouvait un moyen de loger chacun de ces clients.
Par exemple,

  • la chambre 0 accueillera le client de la place 1/3
  • le chambre 1 accueille celui de la place π – 3
  • la chambre 2 accueille celui de la place √2/2
  • la chambre 3 accueille celui de la place 0,5

et ainsi de suite, où chaque chambre accueillera un client différent de façon à ce que chaque client soit pris en compte.
Et pourtant, même si on voulait loger tout le monde on va se heurter à un impossible : certains clients ne trouveront pas de chambre, quel que soit la façon dont on s'y prendra.
Pour le comprendre, on va fabriquer un exemple de nombre qui ne peut pas se trouver dans la liste.
Prenons la 1ere décimale du premier client, la deuxième décimale du deuxième, la troisième du troisième et ainsi de suite. Dans notre exemple, on obtient le nombre 0,3470...
Maintenant, transformons chaque chiffre du nombre ainsi obtenu : on transforme les 0 en 1, les 1 en 2, les 2 en 3, et ainsi de suite, en transformant les 9 en 0.
Dans l'exemple, on obtient le nombre 0,4581...
On peut alors affirmer que le client dont le siège porte ce numéro ne trouvera pas de place dans l’hôtel, puisque si sa chambre est la chambre n°n, alors la (n+1)-ième décimale posera forcément problème. Et ce client n'est qu'un exemple parmi l'infinité de clients qui ne trouveront pas de chambre.

Bref : l'infini des nombres réels est strictement plus grand que l'infini des nombres entiers

Une question qui a longtemps perturbé les mathématiciens est de savoir si il existe un infini intermédiaire qui serait strictement plus grand que l'infini des nombres entiers (noté ℵ0) et strictement plus petit que celui de l'infini des nombres réels (noté, 2ℵ0).
Cette question, appelée hypothèse du continue, a trouvé sa réponse en 1963, lorsque Paul Cohen annonce qu'en fait, chacun peut choisir si oui ou non, il veut de cet infini intermédiaire, et que ça ne changera de toutes façons rien au reste des mathématiques. Mais ça, c'est une autre histoire...

 

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Commentaires
M
Bonjour, <br /> <br /> J'ai un exposé à faire en anglais sur ce paradoxe, j'ai trouvé ta vidéo très intéressante et précise, ai-je le droit de copier en quelques sorte ce que tu dis pour le traduire ainsi que de réutiliser tes illustrations dans un diapo ?
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O
Depuis les trois versions différentes de cet article, je me posais la question de la formule donnant le numéro de chambre du client du bus x et de la place y.<br /> <br /> J'ai beaucoup apprécié la seconde version, avec l'infinité de bus infinis arrivant à chaque étage du parking infini, ainsi que la fin ; mais c'est vrai qu'en vidéo, avec les petites notes d'humour, cela rend très bien, mes félicitations, chapeau bas !<br /> <br /> <br /> <br /> Pour ce qui est de la formule mentionnée, j'ai finalement trouvé une façon :<br /> <br /> lorsqu'on compte en "tranches" diagonales, les clients (x,y) d'une même tranche vérifient que x+y=n et il y a n+1 clients dans chacune de ces tranches. Comme on compte à partir de 0, pour atteindre la bonne tranche on compte 0+1+2+...+n=n(n+1)/2, puis on rajoute encore x ce qui donne au final :<br /> <br /> (x+y)(x+y+1)/2+x expression qui est égale à celle de l'article, mais sous une forme différente. (La forme donnée s'obtient plus facilement ?)<br /> <br /> <br /> <br /> Par contre, dans la précédente version, la méthode est différente : on commence par libérer les chambres impaires n-->2n, puis le i-ième passager du j-ième bus s'installe dans la chambre 2^{i+1}(2j+1)-1.<br /> <br /> C'est normal que dans ce cas on trouve i en puissance de 2 alors que dans l'autre cas on a un polynôme du second degré en i et j ?<br /> <br /> Je n'ai pas encore creusé pour retrouver cette formule-ci...<br /> <br /> <br /> <br /> En tout cas, encore merci, bonne continuation pour les vidéos (avec la transcription texte, personnellement je la trouve très appréciable), bon courage pour des nouveaux articles en vidéo ou pas (surtout que j'imagine que ça prend 10 fois plus de temps qu'un article texte).
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J
Super mais il y a une petite entourloupe dans la dernière démonstration. Il pourrait bien arriver que le nombre diagonal (celui qui commence par 0,3470961...) se termine par une infinité de 8, auquel cas le nombre modifié se terminera par une infinité de 9, ce qui n'est pas un développement décimal propre. Bah, c'est un détail.
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M
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Merci pour cet article, comme toujours très intéressant. "On peut alors affirmer que le client dont le siège porte ce numéro ne trouvera pas de place dans l’hôtel", pouvez-vous détailler ce point? Merci!<br /> <br /> <br /> <br /> Martin
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