Deux (deux ?) minutes pour la conjecture de Poincaré
Retour en vidéo sur l'une des plus grande conjecture du XXe siècle, la conjecture de Poincaré.
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En 2003, Grigori Perelman résout l’un des plus important problème de topologie, un problème ouvert depuis presque un siècle. Grâce à cette démonstration, il remporte les un millions de dollars réservés au premier mathématicien qui viendrait à bout du problème, une récompense qu’il refusera avant de claquer la porte des mathématiques académiques, et de retourner vivre chez sa mère dans un faubourg de Saint-Petersbourg. Ce qu’il a résolu, c’est la conjecture de Poincaré, et ça tombe bien, j’ai deux minutes pour en parler.
En 2000, l’institut Clay propose à la communauté mathématique la liste des problèmes du prix du millénaire. Cette liste, c’est sept problèmes ouverts et centraux dans leur domaine respectif, et cela serait appréciable de les voir résolus avant l'an 3000. Pour donner encore plus d’importance à ces sept conjectures, l’institut Clay a prévu de récompenser celui ou celle qui arriverait à terrasser l’une d’entre elles : un million de dollars. Rares sont les mathématiciens qui travaillent sur ces questions en espérant gagner cette somme, mais il est difficile de passer à côté du prestige que représentent ces sujets. Il n’y a qu’à voir l’engouement provoqué par Michael Atiyah en septembre 2018 lorsqu’il a annoncé avoir démontré l’hypothèse de Riemann. D'ailleurs, la "preuve" de la conjecture de Riemann proposée par Atiyah n'a pas du tout convaincu la communauté mathématique. Il faut dire qu'elle ne fait que 5 pages, et beaucoup de propriétés de la fonction annexe qu'il utilise sont omise; En fait, ce qu'il a réellement proposé, c'est plutôt une piste de recherche vers la résolution de la conjecture.
La conjecture de Poincaré, aujourd’hui théorème de Perelman, s’énonce ainsi : toute variété compacte simplement connexe et sans bord à trois dimensions est homéomorphe à une 3-sphère. Si tu es un profane de topologie, le seul terme mathématique que tu as du comprendre de cet énoncé, ça doit être le mot “trois”. Alors on va tâcher d’expliquer ce que sont les variétés, les 3-sphères, ainsi que tous les qualificatifs qui s’y raccrochent. Bref, voici une introduction à la topologie.
Mettons nous en situation. Voici Mario, un plombier américano-italien affecté à l’entretien des égouts de New-York dans le jeu Mario Bros sorti en 1983 sur borne d’arcade, puis dans de nombreux autres portages sur différentes consoles Nintendo. Sa mission est de nettoyer la zone rectangulaire des carapeurs, des zarbipas et des mouchaks, mais tout ça n’a rien à voir avec la conjecture de Poincaré. Ce qui est notable, c’est que Mario peut se déplacer suivant plusieurs directions. Déjà, il peut se déplacer horizontalement, en marchant vers la droite ou vers la gauche. Mais il peut aussi se déplacer verticalement, vers le haut ou vers le bas, en effectuant des sauts. Puisque Mario peut toujours se déplacer selon deux directions quel que soit l’endroit où il est dans la zone de jeu, on peut qualifier l’espace dans lequel il évolue de variété topologique à deux dimensions.
En simplifiant un peu, on peut dire qu’une variété topologique est un espace dans lequel on peut se déplacer, et ça selon toujours le même nombre de directions quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans cet espace. Ce nombre de directions, c’est ce que l’on appelle la dimension de l’espace. L’espace de jeu de Mario Bros. possède donc deux dimensions.
En fait, Mario ne limite pas ses déplacements à seulement deux directions, puisqu’il est aussi possible de faire des sauts qui ne sont pas verticaux. Des déplacements suivant des directions obliques sont donc permises. Seulement, on peut remarquer qu’un déplacement oblique, c’est en fait la composition d’un déplacement horizontal et d’un déplacement vertical. Cette direction oblique n’est donc pas vraiment une direction supplémentaire, l’espace de jeu n’est bien composé que de deux directions fondamentales, que l'on appelle "libres" : l’horizontale et la verticale. Ce qui fait que la zone de jeu est bien à deux dimensions.
Précisons un petit peu plus. Lorsque Mario a ses deux pieds qui touchent le sol, il n’est pas complètement libre de ses mouvements. Selon la direction horizontale, il a accès à la droite et à la gauche, mais selon la direction verticale, il n’a pas accès au bas, seulement au haut. Dans une telle situation où un espace est infranchissable dans un sens donné, on dira que l’on a affaire à un bord. Mario vit non seulement dans une variété, mais cette variété est une variété à bord. Pour simplifier un peu la modélisation, on supposera que les seuls bords sont ceux du sol et d’un plafond (qui n'existe d'ailleurs pas dans le jeu), et que les plates-formes n’existent plus. On admettra aussi que Mario peut voler, parce que c’est moi qui modélise, et je fais ce que je veux.
Mais le monde de Mario Bros a un petit plus non négligeable : les côtés droits et gauches de l’écran ne sont pas des bords. Quand Mario franchit le côté droit de l’écran, il réapparait à la même hauteur sur le bord gauche de l’écran, et réciproquement. En tant que joueur, on peut l’interpréter comme une téléportation, mais Mario ne le remarque pas, il s’est simplement contenté d’avancer dans une direction. Les bords droits et gauches de l’écran ne sont donc pas vraiment des bords. Le monde de Mario Bros. n’est donc pas qu’un simple rectangle, c’est plus que ça : il s’agit en fait d’un cylindre. Enfin, pour être plus précis, l’espace de jeu de Mario Bros. est homéomorphe à un cylindre, c’est à dire qu’il est possible de déformer l’un en l’autre et réciproquement sans déchirure.
Prenons un autre exemple de variété qui n'a rien à voir, l’espace des positions acceptables que l'on peut prendre dans un lit, en admettant que les mouvements autorisés consistent à se déplacer le long de son traversin, ou bien se tourner sur soi-même. L’espace des positions est une variété à bord. C'est une variété, puisque, quelle que soit la position dans laquelle on se trouve, on peut toujours se déplacer selon la direction droite/gauche, ou selon la direction horaire/anti-horaire. Mais elle possède un bord, puisqu'il arrive un moment où on ne peut plus continuer vers la gauche, et de même vers la droite. On peut alors se représenter l'espace des positions sous une forme graphique, où l'axe des abscisses représente la position sur le traversin, et l'axe des ordonnées l'angle de rotation. Dans cette représentation, deux côtés du carré sont des bords, et deux autres côtés se correspondent. L'espace des positions acceptables pour dormir est donc équivalent au monde de Mario : c'est un cylindre !
Parce que, en effet, c’est ça la topologie, l’étude des points communs entre des objets à une déformation près. Quand un topologiste dit que deux trucs sont les mêmes, cela signifie qu’il est possible de déformer l’un en l’autre, et réciproquement. Pour cette catégorie de mathématiciens, l’alphabet latin majuscule ne possède que 8 lettres vraiment différentes, puisque, fondamentalement, un U, un Z, un L ou un M, c’est la même chose, à un homéomorphisme près, puisque ce ne sont que des segments plus ou moins déformés.
Notons que de toutes les lettres de l’alphabet, seules 14 sont des variétés, plus précisément à une dimension. Il y a celles qui sont homéomorphe à un segment, comme J ou M, ou celles qui sont homéomorphe à un cercle, comme O ou D. En effet, si on se déplace dans l’une de ces lettres, on ne pourra que avancer ou reculer et ça quel que soit l’endroit où l’on s'y trouve, mais jamais aller dans une autre direction. La lettre T, au contraire, n’est pas une variété, puisqu’il existe un point où on peut changer de direction.
On a donc déjà deux exemples de variétés de dimension 1, que l'on appelle plus couramment les courbes. En bon matheux, on veut savoir si il existe d’autres exemples, il faut donc s’atteler à la classification des différentes variétés de dimension 1 qui existent. On peut par exemple parler du symbole “=”, qui est aussi une variété de dimension 1, mais qui a le désavantage d’être composé de plusieurs morceaux distincts. On dit qu’il n’est pas “connexe”. Il y a aussi les droites. Ce sont bien des variétés de dimension 1, mais elles ont pour moi une caractéristique en trop : elles s’étendent à l’infini. Les droites ne sont pas bornées. On peut résoudre le problème, puisqu’il est possible de déformer une droite de manière à la ramener à un intervalle ]0,1[ ouvert, c’est à dire l’ensemble des nombres strictement compris entre 0 et 1. Mais ça, ça ne me plait pas non plus, puisque le segment obtenu n’est pas fermé, ce qui arrive quand des points limites n’appartiennent pas à l’ensemble. Quand une variété est à la fois fermée et bornée, on dit qu’elle est compacte, ce qui n'est donc pas le cas de la droite. Oui, cette définition de la compacité pique les yeux pour un topologiste, et pour de bonnes raisons. Sans rentrer dans les détails, pour qu'un espace puisse être qualifié de "fermé", il faut qu'il soit à l'intérieur d'un espace plus grand ; pourtant, il n'y a aucune raison a priori de penser qu'un espace comme ceuli de Mario soit à l'intérieur d'un espace plus grand (d'ailleurs, pour le faire, il a fallu passer de la 2D à la 3D, ça n'a donc rien d'évident). Même remarque avec le fait d'être borné, où il faut en plus que l'espace plus grand soit métrique. Heureusement, les variétés de dimensions finies peuvent toujours être vues comme des sous-espaces d'espaces plus grand (Théorème de plongement de Whitney). Un espace topologique (séparé) est dit "compact" quand, de tout recouvrement par des ouverts, on peut extraire un sous-recouvrement fini. C'est plus précis (et encore...), mais beaucoup trop abstrait pour une vidéo de vulgarisation. . Quand on regarde finalement les différentes courbes qui existent, on peut alors énoncer le théorème suivant : si une variété de dimension 1 est à la fois connexe et compacte, alors elle sera homéomorphe soit à un cercle, soit à un segment.
Ça, c’était pour la classification des variétés de dimension 1. Mais quelles sont les différentes variétés qui existent en dimension 2, appelées plus couramment les surfaces ? On a déjà parlé du cylindre, et on peut en ajouter quelques autres qui sont évidents, comme le plan infini R², le plan dans lequel on a l’habitude de faire de la géométrie, ou bien le disque B2, qui est une variété dont le bord est un cercle.
Observons maintenant des espace 2D plus exotiques, comme celui de Sonic. Plus précisément, quelle est la forme des blues sphères, les niveaux secrets introduits dans Sonic 3, en 1994 sur Mega Drive. Dans cet environnement, Sonic a le choix entre aller devant ou derrière lui, ou bien aller à droite ou à gauche, ce qui en fait une variété de dimension 2. Visuellement, cela ressemble à une sphère, qui est un bon exemple de variété de dimension 2, mais il faut se méfier des apparences. En fait, si Sonic se déplace en ligne droite dans une direction, il finira par revenir à son point de départ. En se déplaçant sur cette surface, on vient donc de tracer un lacet, c’est à dire, une courbe qui boucle sur elle-même, comme j'en avais parlé dans ma vidéo sur le théorème de Jordan. Obtenir un lacet en marchant toujours dans la même direction, c’est parfaitement envisageable sur une sphère; mais là où la blue sphère est différente, c’est si on fait la même chose selon une autre direction. Là aussi, on reviendra au point de départ, mais sans avoir entre temps recroisé le lacet précédent. Sur la surface d’une sphère, c'est quelque chose d'impossible : si deux lacets se coupent une fois, ils se couperont une deuxième fois. La blue sphère de Sonic n’est donc pas déformable en une sphère, mais en autre chose : elle a plutôt la forme d’un donut ou d’une bouée, c’est à dire, d’un tore. En effet, quand on regarde les plans, les côtés coïncident deux à deux. Si on déforme cette carte, on obtient dans un premier temps un cylindre en faisant coïncider les bords droits et gauche, puis dans un deuxième temps le tore en faisant coïncider les bords maintenant circulaires hauts et bas.
On a le même phénomène dans le jeu Asteroids, où les bords droits et gauche de l'espace coïncident, mais aussi les bords hauts et bas. La planète du jeu Chrono Trigger a elle aussi ces propriétés toriques. Bref, on peut ajouter le tore dans ma liste des variétés à deux dimensions.
Le tore est donc un objet compact, connexe et sans bord, mais a la particularité de former, quand on le regarde depuis notre espace de dimension 3, un trou. Un seul trou. On peut généraliser ces histoires de trous, et donc évoquer le double tore, à deux trous, le triple tore, à trois trous, et je vous laisse extrapoler au nombre de trous que vous désirez.
Revenons à l’univers de Mario, et parlons du jeu de course de la franchise, Mario Kart. Dans Mario Kart Double Dash, on peut s’affronter dans le parc Baby. Les véhicules peuvent avancer, reculer et tourner, la piste est bien une variété de dimension 2. Elle possède un bord et boucle sur elle même, le circuit est donc homéomorphe à un cylindre, puisqu’il est possible de déformer l’un pour obtenir l’autre. Dans la franchise, la plupart des circuits sont topologiquement équivalents à des cylindres, mais l’un d’eux fait vraiment exception : le circuit Mario, présent dans Mario Kart 8. Le circuit est toujours une variété à bord de dimension 2, mais il a quelque chose de supplémentaire. Quand notre personnage a effectué la moitié d’un tour, on peut s’apercevoir que l’on est revenu à notre point initial, mais de l’autre côté de la ligne de départ, du côté pile de la route. Le circuit Mario n’est pas un cylindre, mais un ruban de Möbius. Un ruban de Möbius, c’est ce que l’on obtient lorsque l’on recolle sur lui-même un ruban après lui avoir fait faire un demi-tour. Cette variété à bord a plein de propriétés intéressantes, comme le fait que son bord est homéomorphe à un seul cercle, ou que le couper en deux dans le sens longitudinal ne la coupe pas vraiment en deux. De la même façon que l’on peut voir un cylindre dans la forme des égouts de Mario Bros. ou d’un tore dans la forme de l’univers d'Asteroids, il est possible d’envisager le ruban de Möbius comme la forme d’un espace de jeu rectangulaire. On peut imaginer un jeu vu du dessus, où lorsque le personnage quitte l’écran en bas du côté droit, il réapparaît en haut du côté gauche, comme si passer d’un côté à l’autre revenait à faire une symétrie d’axe horizontal. C’est cette symétrie axiale qui correspond au demi-tour du ruban de Möbius. La conséquence, c’est que si notre personnage fait le tour de la zone de jeu, il reviendra à son point de départ après avoir subi une symétrie. Dans ce cas, c’est qu’il ne sera plus superposable avec son frère jumeau qui l’a attendu bien sagement. Quand une telle situation se présente, on dit que la surface n’est pas “orientable”.
Bref, le ruban de Möbius s’ajoute à notre collection de variétés de dimension 2. Il y a aussi le petit frère du ruban de Möbius, lui aussi à bord et non orientable, le slip de Möbius, mais je ne rentrerai pas dans le détail.
On peut aussi ajouter d’autres surfaces non orientables, comme la bouteille de Klein, qui est ce que l’on obtient quand on cout deux rubans de Möbius bord à bord, ou le plan projectif, que l’on obtient en recollant un ruban de Möbius sur lui-même. N’essayez pas de faire ces constructions à la maison, elles sont impossibles à faire depuis notre monde à trois dimensions, les surfaces ayant la fâcheuse propriété de s'auto-intersecter dans notre espace à trois dimension. Et pour compléter la collection, j’ajouterai qu’il est possible, de la même façon que coller deux tores permet de donner des doubles tores, de coller ensemble des plans projectifs. En collant un plan projectif sur un autre, on obtient une bouteille de Klein, et en collant davantage, on obtient des surface non orientables un peu plus exotiques.
Bref, on a tout une collection de variétés de dimensions 2 dans lequel on va essayer de faire un peu de tri. Déjà, on ne va garder que les variétés compactes, il y a trop de choses bizarres qui arrivent quand on s’approche de l’infini. Au revoir, donc, au plan infini R².
Ensuite, on va se débarrasser des variétés à bord, beaucoup trop complexes. Au revoir donc au disque, au cylindre et aux rubans de Möbius.
Finalement, si on se restreint aux variétés connexes, compactes et sans bord, il ne nous reste que trois familles : il y a la sphère, les tores à 1 ou plusieurs trous, oules plans projectifs et tous ses descendants.
Toute surface connexe compacte et sans bord est donc homéomorphe à l’une de ces variétés, c’est le théorème de classification des variétés de dimension 2.
Mais de toutes ces surfaces, une se dégage du lot, il s’agit de la sphère et c’est en fait l’objet de la conjecture de Poincaré. En effet, la sphère a la propriété d’être simplement connexe, c’est à dire que si un élastique se trouve sur sa surface, il sera toujours possible de le réduire jusqu’à ce qu’il ne forme plus qu’un seul point. A contrario, un tore n’est pas simplement connexe, puisqu’un élastique sur sa surface ne peut pas toujours être réduit en un point, par exemple si celui-ci en fait le tour. Le problème est le même à la surface d’une bouteille de Klein, où l’élastique peut être prisonnier de son anse.
Bref, toute variété compacte simplement connexe et sans bord à deux dimensions est homéomorphe à une sphère. C’est ça, la conjecture de Poincaré, mais il s’agit là de la variante en deux dimensions, celle qui en fait était facile et que Poincaré a résolu.
La véritable conjecture de Poincaré énonce que toute variété compacte simplement connexe et sans bord à trois dimensions est homéomorphe à une sphère en 3 dimensions. Et autant le dire toute suite, mettre de l’ordre dans les variétés de dimension 3, c’est loin d’être une partie de plaisir. On peut quand même essayer de sentir à quoi ressemble ces variétés, en essayant de répondre à cette question : quelle est la forme de l’Univers ? Rien que ça.
Une chose sur lequel on peut se mettre à peu près d'accord, c'est que l'Univers tel qu’on peut le sentir à notre échelle est une variété de dimension 3, puisque, quel que soit le point où je me trouve dans l'univers, j’aurai toujours la possibilité de se déplacer suivant trois directions libres.
Puisque l'Univers a un peu moins de 14 milliards d'années, la lumière qui arrive du plus loin de l'Univers a voyagé pendant ces 14 milliards d'années à sa vitesse de croisière de 300 000 km/s. En prenant en compte l'expansion de l'univers, on peut calculer que les objets visibles les plus éloignés de nous sont aujourd'hui éloignés de 46.5 milliard d’années-lumières. La forme de l'Univers, c'est donc une boule dont le rayon est de 46.5 milliards d’années-lumières et dont le centre, c'est nous. Ou plutôt, c'est l'univers observable qui a la forme de cette boule, ce qui donne un premier exemple assez simple de variété de dimension 3. Pour l'univers au complet, la question n'est pas aussi évidente qu'elle n'y paraît.
La première idée de n'importe qui, c'est de dire que l'univers est infini. Et infini dans toutes les directions, tant qu'à faire. Il aurait donc la forme de l'espace de la géométrie euclidienne, R<sup>3</sup>. Et pourtant, il pourrait tout à fait en être autrement. Il est tout à fait envisageable qu'il soit compact, ou, pour simplifier, que son volume est fini, et ça, sans pour autant avoir le moindre bord. Il est en effet assez inconcevable que l'Univers puisse posséder des murs. De la même façon que le vaisseau de Asteroids vit dans un univers compact et sans bord que l'on peut interpréter comme un tore, nous vivons peut-être dans un univers qui pourrait être compact et sans bord, comme un tore tridimentionnel. Essayons de visualiser cette éventualité.
La Terre est au centre de l'Univers observable, qui est une boule. Imaginons que cette boule est à l'intérieur d'un immense cube, dont le rayon est supérieur au diamètre de l'Univers observable. Si nous vivons dans un Univers torique, cela signifie que lorsque l'on franchit l'une des faces de ce cube, on se retrouverait au même point sur la face opposée. L'Univers entier est donc entièrement contenu dans ce cube, de la même façon que l'Univers entier d'Astroids est dans un simple rectangle. Dans un Univers torique vu de l'intérieur, on pourrait voir la Terre en regardant dans tout un tas de directions. Il est aussi tout à fait envisageable de se déplacer en ligne droite toujours dans la même direction, et de pourtant parvenir à revenir à son point de départ, comme c'était le cas sur la surface d'un tore.
Même si ce n'est pas aujourd'hui l'hypothèse privilégiée, l'hypothèse de l'Univers torique n'est pas rejetée par les spécialistes de la question de la topologie de l'Univers.
En tout cas, voilà qui rajoute une carte dans notre collection de variétés 3D.
D'autres variétés, et donc, d'autres Univers, sont aussi envisageables, comme le tore hexagonal, ou le cube est remplacé par un prisme hexagonal. Il y a aussi l'espace cubique quart de tour, où des rotations sont faites au moment de recoller les faces du cube-univers ou bien l'espace dodécaédrique de Poincaré, un des prétendants principaux au titre de forme de l'Univers, si on en croit Jean-Pierre Luminet. Et ça, ce ne sont que quelques exemples parmi de très nombreux autres. Un peu plus étonnant, certaines d'entres elles sont des équivalents tridimentionnel du ruban de Möbius ou de la bouteille de Klein, c'est à dire, non orientable. Prenons par exemple l'espace torique de Klein. Il faut à nouveau imaginer que la Terre est au centre d'un immense cube, et lorsque l'on traverse l'une des faces, on se retrouve au niveau de la face opposée, après une symétrie axiale. Dans un tel univers, on peut partir de sa galaxie et y revenir après un simple voyage en ligne droite, mais à un détail près. Quand vous retrouverez votre point de départ, tout sera à l'envers, comme si vous veniez de traverser un miroir : vos amis auront le coeur à droite, l'eau chaude ne sera pas du bon côté du robinet, et les anglais rouleront enfin du bon côté de la route. Cette topologie n'est pas vraiment privilégiée chez les cosmologistes, mais je trouve que ça donnerait un bon scénario de SF. D'ailleurs, c'est le synopsis du film "Danger planète inconnue, où l'on découvrre l'existence d'une Terre miroir, symétrique de la Terre par rapport au Soleil. Bref, cela ajoute encore plus de diversité à notre collection de variétés 3D.
Il reste pourtant un espace topologique à 3 dimensions dont je n'ai pas encore parlé et qui est au coeur de la conjecture de Poincaré, celui appelé S3, l'hypersphère, ou la 3-sphère. Pour comprendre ce que c'est, il est important de bien faire la distinction entre une sphère et une boule. Quand on parle d'une sphère sans plus de précisions, on parle de S2, la 2-sphère, qui est grosso modo la forme d'un ballon de basket, d'une balle de ping-pong voire d'un ballon de rugby puisqu'en topologie tout est déformable. Une 2-sphère, c'est juste une surface, ça n'a que deux dimensions, c'est quelque chose de creux. Au contraire, la boule B3, ou plutôt, la 3-boule c'est un objet à 3 dimensions, c'est plein. C'est donc la forme d'une boule de billard ou de bowling. Une 3-boule, c'est donc une variété 3D à bord, et son bord, c'est la 2-sphère, qui est une variété 2D sans bord. Tout ça peut se généraliser, mais pour s'en convaincre, il faut revenir aux définitions. Une sphère S2, c'est l'ensemble des points de l'espace situé à une même distance d'un point donné, son centre. Si on prend la même définition mais dans le plan, on retrouve S1, le cercle, et sur une droite, cela donne S0, un couple de point.
De façon équivalente, on définit la boule B3 comme l'ensemble des points de l'espace dont la distance à un point donné, le centre, est inférieure ou égale à une distance donnée. En généralisant au plan, cette définition nous donne le disque B2, c'est à dire un cercle plein, et en une dimension, on obtient le segment, B1.
On peut aussi généraliser tout ceci à un hyper-espace à 4 dimensions : la 3-sphère S3, c'est donc l'ensemble des points de l'hyper-espace situés à une distance donnée d'un point, son centre. Mais bon, on est pas tellement avancé, puisque c'est évident pour personne de voir en dimension 4. Essayons plutôt de le construire depuis notre espace 3D, comme on a construit un hypertore en recollant les faces d'un cube.
Pour ça, faisons un peu de bricolage. Si je prends deux segments B1, que je mets un peu de colle topologique sur leur bord S0, que je les déforme un peu puis les assemble et que j'attends un peu que ça sèche, j'obtiens un cercle parfait S1.
De même, si je prends deux disques B2, que je mets de la colle topologique sur leur bord S1, et que je les déforme un peu puis les assemble, j'obtiens une sphère S2.
La construction se généralise : si je prend deux boules B3, que j'applique un peu de colle sur la sphère S2 qui leur sert de bord, et que je les recolle l'un sur l'autre, j'obtiens donc la fameuse 3-sphère. Bien sûr, ce recollement est impossible à réaliser en pratique, mais donne une représentation abstraite de la topologique de la 3-sphère. Finalement, on peut voir la 3-sphère comme deux boules où les points du bord de l'un sont en correspondance avec les points du bord de l'autre. On peut alors imaginer un vaisseau qui se déplacerait dans un univers dont la topologie serait celle d'une hypersphère. Disons qu'il parte du centre de la première boule et qu'il voyage tout droit dans une direction. À un moment donné, il atteindra la frontière de la première boule, arrivera dans la deuxième boule, poursuivra son voyage jusqu'au centre de cette deuxième boule. En continuant sur son trajet, il finira fatalement par revenir à son point de départ. Il faut bien comprendre qu'il n'y a pas eu de téléportation entre la première et la deuxième boule, c'est juste une façon de représenter les choses ; on peut faire l'analogie avec la Terre, qui est une sphère S2, que l'on peut reconstruire en recollant deux disques B2, les hémisphères, le long de leur bord, l'équateur. Si je pars du pôle nord et que j'avance tout droit, je rencontrerai l'équateur, avant de poursuivre sur l'autre hémisphère jusqu'au pôle sud, et continuer le voyage qui me ramènerait jusqu'au pôle nord. Bref, la 3-sphère, c'est deux boules dont les bords ont été identifiées.
Une autre façon de se représenter la 3-sphère, c'est de généraliser la façon dont les platistes se représentent la Terre, sous la forme d'un disque bordé par l'Antarctique. Pour un topologiste, cette représentation est bien celle de la 2-sphère Terre, mais il faut convenir que le cercle qui sert de bord ne représente qu'un seul et unique point, le pôle sud. La sphère S2, c'est donc un disque B2 où tous les points du bord sont identifiés en un seul. En généralisant, on peut dire que la 3-sphère, c'est une boule où tous les points de la surface sont en fait un seul et même point, un pôle.
Bref, il y a plein de façon de se représenter cette variété de dimension 3 qu'est la 3-sphère.
On a donc à présent une collection non exhaustive de 3-variétés, et on va essayer de l'élaguer un peu. Déjà, débarassons nous des variétés à bord, et ne gardons que les variétés compactes, celle dont le volume est fini. Il nous en reste encore pas mal, mais la 3-sphère diffère des autres, puisque c'est la seule qui est simplement connexe, c'est à dire que si un élastique se trouve à l'intérieur d'une 3-sphère, il sera toujours possible de le déformer pour le ramener en un unique point. Dans un hyper tore, si l'élastique est tendu entre deux faces identifiées du cube univers, il sera impossible de le réduire en un seul point. Finalement, de toute ma collection de variétés de dimension 3 sans bord et compactes, seule la 3-sphère est simplement connexe. Mais est-ce vraiment la seule, ou on a simplement mal cherché ? Il a fallu 100 ans pour le prouver, parce que c'est ça, l'objet de la véritable conjecture de Poincaré : la 3-sphère est la seule variété de dimension 3 sans bord, compacte et simplement connexe.
D'ailleurs, pourquoi s'intéresse-t-on autant aux variétés simplement connexes ? En fait, on peut voir les variétés simplement connexe comme des briques de bases des autres variétés : si une variété est non simplement connexe, on pourra la couper en des morceaux plus petits. Il est donc primordial de bien comprendre lesquelles sont simplement connexes.
Entre 1904, le moment où la question est posée par Henri Poincaré et 2003, celui où Grigori Perelman dépose en ligne les pdfs de sa démonstration, des générations de mathématiciens s'étaient penchés sur la question. D'abord, dans les années 60, en se débarrassant de la généralisation aux dimensions supérieures à 5, puis dans les années 80 à la variante en 4D. Toujours dans les années 80, Richard Hamilton trouve un angle d'attaque à la conjecture de Poincaré : il s'agit de gonfler la variété 3D pour une faire une hypersphère de la même façon que gonfler un ballon de baudruche le transforme en sphère. Ce gonfleur, c'est le flot de Ricci, et il a fallu attendre 2003 pour que Perelman étudie minutieusement les cas qui ferait éclater le ballon au lieu d'obtenir une hypersphère. Les outils qu'il venait de mettre au point étaient si novateurs et subtils qu'il fallut à la communauté mathématique quelques années supplémentaires avant de confirmer que sa démonstration était bien correcte. S'en sont suivies de nombreuses distinctions, comme la médaille Fields en 2006, ou le prix du millénaire et son millions de dollars en 2010. Des récompenses qu'il refusera, avant de claquer la porte des mathématiques académiques. Les dernières nouvelles que l'on a eu de lui remontent à 2010. Il cueillait des champignons.
Quelques sources :
Animations réalisées avec Geogebra, Processing et Curved Spaces.
Album-photo des cartes à collectionner
Dix autres mondes sont possibles - Colin Adams (Pour la science n°308, mai 2003)
Classification des surfaces topologiques compactes - Mémoire de Delphine Pol
Groupes de travail sur les travaux de Perelman - Institut Fourier
Towards the Poincaré conjecture and the classification of the 3-manifolds - John Milnor
Classification of surfaces - Richard Koch
Maps de Sonic - Sonic Retro