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Choux romanesco, Vache qui rit et intégrales curvilignes
15 juin 2008

Combien font un plus un ?

Bientôt les épreuves du baccalauréat, des millions de milliards (environ) de lycéens en terminale se préparent à passer l'épreuve de mathématiques. Il est aujourd'hui tant d'aider ces âmes en peine, et répondant à cette question que de trop nombreuse personnes se posent sans avoir de réponse :

Combien font 1+1 ?

(Le genre de question que l'on voit tous les jours sur Yahoo Question réponse, c'est donc que beaucoup de gens se la posent)

Avant toute chose, on va quand même répondre à la question ; dans la plupart des cas, 1+1=2.
Mais d'après Jean-Claude Van Damme, 1+1=11 (parce que ça serait beau), et d'après les lois universelles de l'amour, 1+1=3 (ou 4, 5, 6 pour ceux qui veulent beaucoup d'enfants).

En fait, on a tout un tas de réponses possibles, pour avoir la bonne, il suffit de s'accorder sur le sens que l'on donne à "1", et à "+".

Tout d'abord, qu'est ce que veut dire 1 ? Et par extension, que veulent dire 2, 3, 4... ? Ce sont des entiers naturels, qui, concrètement, servent à compter les objets depuis bien longtemps. A l'époque (dans les anciennes langues indoeuropéennes), on avait encore du mal à distinguer  les nombres abstraits du nombre d'objet qu'il représente, c'est pourquoi un mot comme "deux" s'accordait en genre avec les objets qu'il comptaient. (Car on ne concevait pas le nombre sans les objets qui vont avec) Quand il commençait à y en avoir plus, on utilise très rapidement le nombre "beaucoup". (Nombre que l'on peut encore utiliser en pifométrie). Aujourd'hui, on peut tout à fait concevoir le nombre 2 indépendamment de se fonction de comptage d'objet, en le voyant 2 comme étant l'ensemble des propriétés communes des ensembles de deux objets.
Pour pouvoir dire combien font 1+1, il faut donc être conscient que 1 est bien un nombre, et non pas un adjectif pour compter les objets, à qui ont peut ajouter d'autres sens. Il faut rester abstrait, pour ne pas tomber dans les pièges de la définition amoureuse de 1+1 (=1, car toi et moi, nous ne sommes qu'un, ma chérie !).
Si j'habite 1, rue de Peano, et que ma tante habite 1, rue de Dedekind, quel sens aura le résultat de 1+1 ? Certaines choses ne s'ajoutent pas, autant rester dans l'abstrait, et préciser ensuite dans quel endroit on a le droit de faire des additions.

1 est-il un nombre ? On a mis beaucoup de temps à s'en rendre compte, mais oui, 1 est bien un nombre ! Sa seule particularité, c'est qu'en français, on continue à l'accorder !
Pour le zéro, on a eu encore plus de mal à le sentir comme un nombre à part entière, mais il a finit par être accepté au Ve siècle.


Les axiomes de Peano
Reste à définir ce que sont ces nombres, ou plutôt, entiers naturels. (Ne parlons pas de choses compliquées comme les entiers négatifs, les fractions ou les quaternions transcendants non calculables...)
En 1889, Giuseppe Peano énonce dans l'ouvrage Arithmetices Principa nova Methodo exposita ce que l'on utilise aujourd'hui comme base de l'arithmétique, c'est à dire, ce que l'on peut considérer comme étant la définition des nombres entiers (et des calculs permis). Ce sont les axiomes de Peano, au nombre de 5. Ils disent ceci :
* Il existe un nombre qui s'appelle 0.
* Si n est un nombre, alors s(n)  est un nombre. (s(n) est le successeur de n, vu intuitivement comme n+1)
* Il n'existe pas de nombre qui ont pour successeur 0.
* Si deux nombre ont un successeur identique, alors ils sont identiques
* Un ensemble qui contient 0 et qui contient le successeur de chacun de ses constituants est l'ensemble de tous les entiers naturels.

Dans le sens intuitif que l'on se fait des nombres, ces axiomes correspondent bien à tout ce que l'on sait d'eux, et sont plutôt fondamentaux. On peut accepter donc sans trop broncher ces 5 axiomes, et faire tout un tas de raisonnements dessus. Si les raisonnements sont faits sans erreurs, on pourra considérer ces résultats comme vrais, descendants directement de ce que l'on fondamentalement des entiers. C'est ce que l'on appelle l'arithmétique.

Pour des raisons pratiques, on appelle (généralement) 1 le successeur de 0, on appelle 2 le successeur de 1,  etc. Ce ne sont que des notations, qui permettent de grandement simplifier la communication entre les êtres humains, et éviter par exemple le dialogue suivant :
- Combien as tu de frères et de sœurs ?
- J'ai 0 sœurs et j'ai successeur de successeur de 0 frères !


L'arithmétique de Peano
Mais cela ne nous dit toujours pas combien font 1 + 1 !

Et oui, car on a bien définit nos entiers naturels, mais il nous manque la définition de l'addition ! En effet, si on appelle + l'opérateur de la concaténation, on retrouve le résultat fondamental de l'arithmétique de JCVD : 1+1=11. Dans l'idée de ce que l'on se fait de onze (le nombre qui vient juste après 10), on risque de ne pas être d'accord avec Jean-Claude : on ne peut quand même pas faire n'importe quoi avec ce signe + ! Voilà pourquoi il est nécessaire d'en avoir une belle définition rigoureuse !

Cette définition fait appelle à la récurrence ; si x et y sont deux entiers naturels, on a :
x + 0 = x    (Règle 1)
et x + s(y) = s( x + y )      (Règle 2)

Ceci nous permet donc de calculer la valeur de 1+1 :
1 + 1
= 1 + s(0)    (Par définition de 1)
= s(1+0)      (Règle 2)
= s(1)         (Règle 1)
= 2             (Par définition de 2)

1+1=2 ! Le résultat est conforme à l'intuition ! Merci Peano !

Si 1+1=2, c'est parce que par définition, 2 est le nombre qui vient juste après 1 ! (Et non, comme l'affirme Mr Larousse, parce que par définition, deux, c'est un plus un)

Changement de base
Réhabilitons quand même Jean-Claude ! Car 1+1 est bien égal 11, mais en base 1 !
La base 1 est la base de numération la plus ancienne, celle des bâtons : un bâton plus un bâton, ça fait deux bâtons, et on note |+|=||. Par contre, dans cette base de numération, seuls les nombres composés du chiffre 1 ont un sens ! (Sauf 0, que l'on noterait ici avec un non-bâton)

1+1=11
11+1=111
Etc.

Le bon côté de ce système, c'est que l'on comprend tout de suite à quoi fait référence le nombre écrit ; le gros désavantage, c'est que le temps d'écriture d'un nombre qui est proportionnel à sa taille, si bien que l'on a très vite abandonné l'idée d'écriture tous les nombres avec des bâtons.

Si vous posez la question "combien font un plus un " à un informaticien un peu trop dans son monde, il risque de vous répondre que 1+1=10. Très utilisé en informatique, l'écriture binaire des nombres n'utilise que les chiffres 0 et 1. On compte de la même façon qu'en décimal, sauf que l'on ne garde que ce qui est écrit seulement avec des 0 et des 1 : 0, 1, 10, 11, 100, 101, .... Le nombre qui vient après 1, c'est bien 10.

Mais même si l'on change de base de numération, c'est simplement l'écriture des nombres qui change, et non ce qu'ils représente. Qu'il soit écrit 2 (en base décimale), 11 (en base unaire), 10 (en binaire) ou Zo (en Shadok) il représentera toujours le nombre 2, c'est à dire les propriétés communes des choses qui vont par 2, : un nombre pair, un nombre premier ou un nombre venant juste avant 3 (alias 111, 11 ou Meu) !

Ne pas confondre le fond et la forme !


Changement d'ensemble

Mais en mathématiques, il n'y a pas que les entiers naturels ! 1 peut certes représenter le successeur de 0, mais peut avoir d'autre signification.

Par exemple, en arithmétique modulaire, plus précisément, dans l'ensemble Z/2Z, il n'y a que deux nombres : 0 et 1. (Le trait au dessus des nombres symbolise le fait que ce ne sont pas les nombres entiers au sens classique). Tous les autres entiers sont soient égaux à 0 (ceux qui sont pairs), soient égaux à 1 (ceux qui sont impairs). On a alors 0=2=4=6=8=... et 1=3=5=7=....
Les additions fonctionnent de la même façon, sauf que l'on peut simplifier le résultat : on a alors 1+1=2=0.
Dans l'anneau Z/2Z, on a 1+1=0 !

Pour faire encore plus triavial, on peut parler de l'ensemble Z/Z, qui ne possède que un seul nombre : 0. ici, tous les nombres sont égaux à 0, et donc, 1+1=0+0=0 !

Autre exemple, la théorie des langages, où l'on parle de symboles et de mot. "1" est un symbole, parmi des milliers d'autres que l'on peut imaginer (Comme "a", "œ" ou "$"). En juxtaposant des symboles, on forme ce que l'on appelle des mots. 1a1 est un mot composé du symbole 1, du symbole a et à nouveau du symbole 1. Un langage est un ensemble de mots.
Pour définir un langage, on peut utiliser des "expressions régulières", avec les opérateurs + (d'union) et . (de concaténation). Par exemple, le langage que l'on écrit (a+b).(c+d) est l'ensemble des 4 mots {ac, ad, bc, bd} (tous les mots que l'on peut obtenir en choisissant un élément de {a,b} (écrit sous la forme a+b) et en le collant à un élément de {c+d}).
En théorie des langages, si on considère 1 comme un symbole, on dit que 1+1 représente le langage comprenant le mot 1 ou le mot 1, c'est à dire, le langage {1}.
On peut donc écrire que 1+1={1}=1 !

Bref, tout ça pour dire que 1+1=2...
En considérant la base décimale et l'axiomatique de Peano !

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Commentaires
M
Bonjour,<br /> <br /> C'est ma deuxième visite sur votre blog, j'ai toujours été surpris à chaque fois. <br /> <br /> Très intéressant vos explications. A chacun de se fixer une base.<br /> <br /> Merci.
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J
Quand on dit qu'on travaille en base dix, le nombre entier dix "préexiste" à son écriture 10... Ce nombre est probablement défini comme 9+1. De même, pour pouvoir dire qu'on travaille en base deux, où censément on n'aurait pas 1+1=2, il faut bien connaître le nombre "deux" et il est commode de le noter 2.<br /> <br /> On peut s'abstenir d'écrire que 1+1=2 si on veut, mais le successeur de 1 ou la somme de 1 et 1 est, quelle que soit la base dans laquelle on travaille, un nombre entier qu'il est convenu d'appeler "deux" en français et habituel de noter "2" dans beaucoup de langues.<br /> <br /> Bref, l'égalité "1+1=2", soit n'a aucun sens (si on préfère se priver du symbole 2), soit est vraie, mais en tout cas elle ne saurait être fausse. Il peut cependant se faire que 2=10 (en base 2) ou que 2=0 (modulo 2) ou que 2=-1 (modulo 3, où, pour reprendre un bon mot de Jacques Tits, toutes les erreurs de calculs sont des erreurs de signe).
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J
1) Même si je travaille en base 1+1 (somme de deux entiers naturels, 1 étant le successeur du plus petit entier), je peux légitimement noter 2=1+1, j'aurai alors, avec les conventions de la numérotation de position, la relation supplémentaire 2=10 (qui ne signifie rien d'autre que 1+1=1*(1+1)+0*1, relation indépendante de toute base puisqu'on ne manipule que des nombres à un seul chiffre).<br /> <br /> 2) Contrairement à ce que j'ai écrit (à tort) en juin, il n'est pas raisonnable de travailler en base 1 parce que quand on travaille en base b, on ne s'autorise que les chiffres allant de 0 à b-1, ce qui ne permet d'écrire aucun nombre sauf 0. Ce qui permet de travailler en base b, c'est que la suite des puissances de b tend vers l'infini. On peut bien représenter un nombre entier par autant de chiffres 1, mais ce n'est pas pour autant un travail en base b au sens habituel.<br /> <br /> 3) Devant la difficulté à donner une définition convenable de "nombre", je considère comme nombre tout élément d'une collection de choses que je sais additionner et multiplier avec les règles usuelles des entiers --un anneau, quoi, éventuellement on peut imposer "intègre". C'est un point de vue très commode.
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E
1) La phrase de conclusion permet juste de rappeler qu'il faut se fixer une base d'écriture pour écrire 1+1=2 (puisque ça ne marche plus en base 1 ou 2) et qu'il faut se fixer un sens au signes + et aux chiffres (d'où Peano (même si on peut facilement se contenter de moins, autant prendre ce qui est le mieux), et non l'arithmétique modulaire ou la théorie des langages, par exemple). Tout le monde utilise sans s'en rendre compte la base 10 et l'axiomatique de Peano.<br /> <br /> 2) En base 1, on règle facilement le problème d'unicité en ne s'autorisant le chiffre 0 que pour le nombre 0. Et hop, plus de problèmes !<br /> <br /> 3) Ca, c'est simplement l'arithmétique modulaire dans Z/2Z. Quand on dit que pair=0 et impair=1, on associe implicitement les nombres aux notions de parité, et quand on écrit 1+1=0, ce sont les notions de parités sur lesquels on effectue les opérations, et plus sur les nombres 0 et 1.<br /> Il est légitime ici d'écrire 1+1=0, mais il faut bien se rendre compte que ce ne sont pas vraiment des nombres qui sont manipulés.
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J
Bonjour,<br /> <br /> 1) Dans la phrase de conclusion, il n'y a pas besoin de fixer la base (10 ou une autre) pour affirmer que 1+1=2 ; d'ailleurs, cette égalité est vraie en base 3, 4, 5, et j'en passe. Il n'y a pas besoin de Peano non plus : bien des gens ont dit bien avant lui des choses très raisonnables sur les entiers sans avoir (besoin) d'une axiomatique pour le faire ; d'autres axiomatiques donneraient le même résultat ; et bien des gens après lui ont manipulé les entiers aussi, parfois avec talent, sans avoir aucune idée de ses axiomes --tiens, au hasard, Ramanujan. Ce qui compte pour pouvoir écrire 1+1=2, c'est de travailler avec les entiers naturels.<br /> <br /> 2) Travailler en base 1 pose un problème, car on n'a plus unicité de la représentation : 1001=11=100001, par exemple.<br /> <br /> 3) Comme chacun sait, on a les règles suivantes :<br /> pair + pair = pair,<br /> pair + impair = impair,<br /> impair + impair = pair.<br /> C'est parfois utile dans la vie courante pour détecter que certaines opérations sont fausses (c'est "la preuve par 2"). On peut écrire ça en plus court, en notant "pair = 0" et "impair = 1", sous la forme :<br /> 0 + 0 = 0,<br /> 0 + 1 = 1, tout va bien,<br /> 1 + 1 = 0, ce qui ne manque pas de panache.<br /> On ne travaille plus avec des nombres entiers, mais simplement avec leur parité. C'est bien utile pour un ordinateur (un lecteur de DVD, un téléphone portable, etc.). Mais si on en convient, il est tout à fait légitime d'écrire que : 1 + 1 = 0.
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